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jugent ordinairement les caractères sans connaissance de cause comme sans justice, que nous aurions cru inutile de rapporter cette conversation, si les faits qui y sont contenus n’avaient quelque rapport aux incidents de notre histoire, et les opinions qui y sont énoncées, aux motifs qui faisaient agir les personnages. Dès qu’on eut fini de souper, le sergent congédia ses hôtes, et il eut ensuite une longue conversation confidentielle avec sa fille. Il était peu habitué à s’abandonner à des émotions douces, mais la nouveauté de sa situation présente éveilla en lui des sensations qu’il n’était pas accoutumé à éprouver. Le soldat ou le marin, tant qu’il agit sous la surveillance immédiate d’un supérieur, songe peu aux risques qu’il court ; mais du moment qu’il est chargé de la responsabilité du commandement, tous les hasards d’une entreprise commencent à se classer dans son esprit avec les chances du succès et la crainte de ne pas en obtenir. Il pense moins à ses propres dangers que lorsqu’ils sont la principale considération qui doivent l’occuper ; mais il sent plus vivement le risque général, et il est plus soumis à l’influence des sentiments que le doute fait naître. Tel était le cas dans lequel se trouvait le sergent Dunham. Au lieu de regarder la victoire comme certaine, suivant sa coutume ordinaire, il commençait à sentir qu’il allait peut-être se séparer de sa fille pour ne plus la revoir.

Jamais Mabel ne lui avait paru si belle que ce soir. Jamais peut-être elle ne lui avait montré des qualités si attrayantes, car elle commençait à sentir de la quiétude pour lui, et son affection trouvait de l’encouragement dans la manière inusitée dont il laissait paraître la sienne. Elle n’avait jamais été tout-à-fait à l’aise avec son père, la grande supériorité de l’éducation qu’elle avait reçue traçant entre eux une ligne de séparation qui avait été encore plus marquée par suite de l’air de sévérité militaire qu’il devait à des rapports longs et intimes avec des êtres qui ne pouvaient être assujettis à la soumission que par le maintien d’une discipline rigoureuse. En cette occasion pourtant, et quand ils furent tête à tête, la conversation entre le père et la fille devint plus confidentielle que de coutume, et Mabel vit avec plaisir qu’il s’y joignait peu à peu un ton de tendresse de la part de son père, ce qu’elle avait désiré en silence depuis l’instant de son arrivée.

— Ma mère était donc à peu près de ma taille ? — dit Mabel