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comme si son opinion était bien décidée et qu’elle ne voulût pas en écouter davantage. Je crois que son esprit a pris une détermination.

— Je le crains, lieutenant, je le crains, et son père s’est mépris, après tout. Oui, le sergent a commis une cruelle erreur.

— Eh bien ! Pathfinder, faut-il pour cela vous désoler, et perdre la réputation que vous vous êtes faite depuis tant d’années. Prenez cette carabine dont vous vous servez si bien et allez dans les bois avec elle. Il n’y a pas une femme dans le monde qui mérite qu’on ait le cœur gros pour elle une minute. J’en parle par expérience. Croyez-en la parole d’un homme qui a eu deux femmes, et qui connaît leur sexe ; les femmes, après tout, sont à peu près la sorte de créatures que nous ne nous imaginons pas qu’elles sont. Si vous désirez réellement mortifier Mabel, vous en avez réellement une aussi bonne occasion qu’aucun amant rejeté puisse le souhaiter.

— Mon dernier désir, lieutenant, serait de mortifier Mabel.

— Eh bien ! c’est pourtant à quoi vous arriverez à la fin ; car il est dans la nature humaine de désirer causer des sensations pénibles à ceux qui nous causent de pénibles sensations. Mais jamais vous ne pouvez trouver une si belle occasion que celle qui s’offre en ce moment pour vous faire aimer de vos amis, et c’est un moyen certain pour forcer nos ennemis à nous porter envie.

— Mabel n’est pas mon ennemie, quartier-maître ; et quand elle le serait, la dernière chose que je souhaiterais, serait de lui causer un moment de déplaisir.

— Vous parlez ainsi, Pathfinder, et j’ose dire que vous pensez de même ; mais la raison et la nature sont contre vous, et vous finirez par le reconnaître. Vous connaissez le proverbe « qui m’aime, aime mon chien ; » en bien ! en le lisant à rebours, cela veut dire : qui ne m’aime pas, n’aime pas mon chien. Maintenant écoutez ce qu’il est en votre pouvoir de faire. Vous savez que nous occupons ici une position extrêmement incertaine et précaire, en quelque sorte dans la gueule du lion ?

— Entendez-vous par le lion les Français, et par sa gueule cette île, lieutenant ?

— Seulement par métaphore, mon cher ami ; car les Français ne sont pas des lions, et cette île n’est pas une gueule, — à moins qu’elle ne devienne, comme je crains que cela n’arrive, la mâchoire d’un âne.