Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 17, 1840.djvu/292

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans ces environs, et il me proposa d’aller voir cette merveille. J’en avais entendu parler par quelques soldats du 60e, qui est mon corps naturel, et non le 55e, avec lequel j’ai eu tant de rapports depuis ce temps ; mais il y a de si terribles menteurs dans tous les régiments, que je croyais à peine la moitié de ce qu’ils n’avaient dit. Eh bien ! nous nous mîmes en marche, et nous pensions être conduits par nos oreilles, en entendant quelque chose de ce vacarme qui nous étourdit aujourd’hui. Mais non, la nature n’avait pas en ce moment sa voix de tonnerre comme ce matin. C’est ce qui arrive dans la forêt, maître Cap ; il y a des moments où Dieu semble se montrer armé de tout son pouvoir ; il y en a d’autres où tout est calme comme si son esprit répandait la tranquillité sur toute la terre. Eh bien ! nous arrivâmes tout d’un coup sur le bord de la rivière, à quelque distance au-dessus de la cataracte, et un jeune Delaware, qui était avec nous, ayant trouvé un canot d’écorce, voulut entrer dans le courant pour gagner une île qui était au centre de la lutte et de la confusion de l’eau. Nous lui dîmes que c’était une folie, et nous cherchâmes à lui faire sentir qu’il était mal de tenter la Providence en s’exposant inutilement au danger. Mais les jeunes Delawares sont à peu près comme les jeunes soldats, pleins de vanité, et aimant à courir des risques. Tout ce que nous lui dîmes ne put le détourner de son dessein, et il partit. Il me semble, Mabel, que lorsqu’une chose est réellement grande et puissante, elle a une majesté tranquille qui est toute différente du bourdonnement et de la vanité des plus petites, et c’est ce qui arrive à ces rapides. La pirogue n’y fut pas plus tôt engagée, qu’elle partit avec la rapidité de l’oiseau qui vole dans les airs, et tout le talent du jeune Delaware ne put résister au courant. Il fit pourtant les plus grands efforts pour sauver sa vie, se servant de la rame jusqu’au dernier moment, comme le daim qui se jette à l’eau pour éviter les chiens. D’abord il commença à traverser le courant avec tant de rapidité, que nous crûmes qu’il réussirait dans son entreprise ; mais il avait mal calculé la distance, et quand il en fut convaincu, il chercha à remonter la rivière, et fit des efforts qui étaient terribles à voir. J’aurais eu pitié de lui, quand même c’eût été un Mingo. Pendant quelques instants ses efforts furent si frénétiques, qu’il l’emporta sur le courant ; mais la nature à ses bornes, il ne put les continuer, et il perdit pouce à pouce et pied à pied tout ce qu’il avait gagné. Il arriva alors à un endroit où l’eau