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L’endroit où ils s’étaient arrêtés était assez élevé pour commander la vue d’une vaste étendue du lac du côté du nord. Cette nappe d’eau, dont l’œil n’atteignait pas la fin, brillait sous les rayons du soleil, et montrait encore quelques restes de la violente agitation causée par la tempête. La terre, d’un autre côté, prescrivait des bornes au lac, en forme d’un immense croissant qui disparaissait dans l’éloignement au sud-est et au nord. Aussi loin que la vue pouvait s’étendre, on n’apercevait qu’une forêt, et pas le moindre signe de civilisation n’interrompait la magnificence uniforme et imposante de la nature. Le vent avait poussé le Scud au-delà de cette ligne de forts dont les Français cherchaient alors à entourer les possessions anglaises dans le nord de l’Amérique ; car, suivant les canaux de communication entre les grands lacs, ils avaient établi leurs postes sur les bords du Niagara, tandis que les aventuriers anglais étaient arrivés à plusieurs lieues à l’ouest de cette célèbre rivière. Le cutter était mouillé sur une seule ancre, en dehors des brisants ; et de l’endroit où était Mabel, il ressemblait à un de ces jouets bien travaillés, destinés à être mis sous verre, plutôt qu’à un bâtiment devant avoir à lutter contre les éléments, comme il venait de le faire si récemment. La pirogue, tirée sur la côte assez loin pour quelle fût hors de la portée des vagues, paraissait un point sur le sable.

— Nous sommes ici bien loin des habitations humaines ! — s’écria Mabel, après avoir long-temps examiné ce tableau, dont les principaux traits se faisaient remarquer d’eux-mêmes à son imagination toujours active. — C’est vraiment ce qu’on peut appeler une frontière.

— Y a-t-il des scènes plus belles que celle-ci près de la mer et autour des grandes villes ? — demanda Pathfinder avec l’intérêt qu’il prenait toujours à un pareil sujet.

— Je ne le crois pas. On y trouve sans doute plus de causes pour songer à ses semblables, mais peut-être moins pour songer à Dieu.

— Oui, Mabel, c’est précisément ce que je pense. Je ne suis qu’un pauvre chasseur, je le sais ; on ne m’a rien appris ; j’ignore tout ; mais je sens que Dieu est aussi près de moi dans la forêt, qu’il l’est du roi dans son palais.

— Qui peut en douter ? — s’écria Mabel, surprise de l’énergie du ton de son compagnon, et oubliant la vue qu’elle admirait