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sition, car, quoiqu’il mît assez de promptitude pour agir quand il avait une fois pris son parti, il était habituellement réfléchi et circonspect. L’habitude qu’il avait de surveiller la police générale de la garnison lui avait fait connaître le caractère de Jasper, et il avait été long-temps disposé à avoir une bonne opinion de lui. Mais ce poison subtil, le soupçon, s’était glissé dans son cœur, et l’on craignait tellement les artifices et les manœuvres des Français, que, surtout après l’avis qu’il avait reçu du major, il n’est pas étonnant que le souvenir de plusieurs années de bonne conduite ne pût l’emporter sur l’influence de la méfiance qu’il venait de concevoir. Cependant le sergent encore indécis résolut de consulter le lieutenant Muir, dont il était tenu de respecter l’opinion comme étant son officier supérieur, quoiqu’il en fût indépendant pour le moment. C’est une malheureuse circonstance quand un homme qui est dans l’embarras en consulte un autre qui désire être dans ses bonnes grâces, car alors il arrive presque toujours que celui-ci fera tous ses efforts pour penser de la manière qu’il croira la plus agréable à celui qui lui demande son avis. Dans le cas dont il s’agit, il fut aussi malheureux, pour la considération impartiale du sujet, que ce fût Cap, et non le sergent, qui fit l’exposé de l’affaire ; car le vieux marin ne se gêna nullement pour faire sentir au quartier-maître de quel côté il désirait que la balance penchât. Le lieutenant Muir était trop bon politique pour offenser le père et l’oncle d’une jeune fille qu’il désirait et qu’il espérait épouser quand même le cas lui eût paru douteux ; mais à la manière dont Cap lui présenta l’affaire, il fut porté à croire réellement qu’il était à propos de confier temporairement à Cap le commandement du Scud par mesure de précaution contre toute trahison. L’opinion qu’il énonça à ce sujet détermina celle du sergent, et l’exécution n’en fut pas différée un seul instant.

Sans entrer dans aucune explication, le sergent Dunham se borna à annoncer à Jasper qu’il était de son devoir de lui retirer temporairement le commandement du cutter pour le donner à son beau-frère. Un mouvement de surprise, aussi naturel qu’involontaire, échappa au jeune homme ; et le sergent se hâta d’ajouter d’un ton calme que le service militaire était souvent d’une nature qui exigeait le secret ; que ce cas se présentait en ce moment, et que l’arrangement dont il s’agissait était devenu indispensable. Quoique l’étonnement de Jasper ne diminuât point,