Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 17, 1840.djvu/221

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

est né, Mabel : les uns s’élèvent plus haut, les autres tombent plus bas. Bien des sergents sont devenus officiers et même généraux, et je ne vois pas pourquoi la fille d’un sergent ne pourrait pas devenir la femme d’un officier.

— Quant à la fille du sergent Dunham, — répondit-elle en riant, — la meilleure raison que j’en voie, c’est qu’il n’est pas probable qu’aucun officier veuille en faire sa femme.

— Vous pouvez le croire, mais il y a dans le 55e des gens qui sont mieux instruits. Il s’y trouve certainement un officier qui désire vous avoir pour femme.

Avec la rapidité de l’éclair, les pensées de Mabel se portèrent sur quatre on cinq officiers de ce corps que leur âge et leurs inclinations semblaient rendre susceptibles d’avoir conçu un tel désir ; et nous ne serions pas historien fidèle si nous ne disions pas qu’une vive émotion de plaisir s’éleva momentanément dans son sein à l’idée d’être élevée au-dessus d’un rang que, malgré ses protestations de contentement, elle sentait qu’elle avait été trop bien élevée pour tenir avec toute satisfaction. Mais cette émotion fut aussi passagère que soudaine, car Mabel avait des sentiments trop purs et trop louables pour n’envisager le mariage que sous le rapport mondain des avantages de la fortune et du rang. Cette émotion d’un instant avait été produite par les habitudes factices de la société, mais les idées plus sages qui y succédèrent étaient le résultat de son caractère et de ses principes.

— Je ne connais, — dit-elle, — aucun officier du 55e régiment, ni d’aucun autre, qui pût vouloir faire une telle folie, et je ne crois pas que je fusse assez folle pour épouser un officier.

— Folle, Mabel !

— Oui, Jasper, folle. Vous savez aussi bien que moi ce que le monde en penserait ; et je serais fâchée, très-fâchée de voir mon mari regretter un jour d’avoir cédé à une fantaisie, au point d’épouser la fille d’un homme dont le rang était si inférieur au sien.

— Votre mari, Mabel pensera probablement à la fille plus qu’au père.

Mabel parlait avec vivacité, quoique la sensibilité de son cœur eût sa part dans ses discours ; mais après cette dernière observation de Jasper elle garda le silence près d’une minute avant de prononcer un seul mot. Elle reprit alors, la parole, mais d’un ton moins enjoué, et une oreille attentive aurait même cru pouvoir y reconnaître un léger accent de mélancolie.