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LE LAC ONTARIO.

— Bon, — dit le Tuscarora ; — homme rouge, froid et prudent ; face-pâle, toujours pressé, tout feu. — Que la Squaw[1] marche en avant !

— Quoi ! — s’écria Cap avec surprise ; — envoyer la petite Magnet en avant en vedette, tandis que deux fainéants, comme vous et moi, nous mettrons en panne pour voir quelle sorte d’atterrage elle fera ! Si j’y consens, je veux être…

— C’est le plus sage, mon oncle, — dit la généreuse fille, — et je n’ai aucune crainte. Nul chrétien, en voyant une femme s’approcher seule, ne ferait feu sur elle, et ma présence sera un gage de paix. Souffrez que j’aille en avant, comme Arrowhead le propose, et tout ira bien. Nous n’avons pas encore été vus, et si les étrangers sont surpris, du moins ils ne concevront aucune alarme.

— Bon, — dit Arrowhead, qui ne cacha point l’approbation qu’il donnait au courage de Mabel.

— Ce n’est pas agir en marin, — dit Cap ; — mais nous sommes dans les bois, et personne ne le saura. Si vous croyez, Mabel, que…

— J’en suis sûre, mon oncle ; et d’ailleurs vous serez assez près pour me défendre.

— Eh bien ! prenez donc un de mes pistolets, et…

— J’aime mieux compter sur mon âge et ma faiblesse, — dit la jeune fille en souriant, tandis que les sentiments qui l’animaient rehaussaient les couleurs de son teint. — Parmi des chrétiens, la meilleure sauve-garde d’une femme est le droit qu’elle a à leur protection. D’ailleurs, je ne connais pas le maniement des armes, et je n’ai nulle envie de l’apprendre.

L’oncle ne fit plus aucune objection, et après avoir reçu du Tuscarora quelques instructions de prudence, Mabel s’arma de tout son courage, et s’avança seule vers ce groupe qui était assis près du feu. Quoique son cœur battît vivement, son pas était ferme, et sa marche n’annonçait aucune répugnance. Un silence semblable à celui de la mort régnait dans la forêt, car ceux dont elle s’approchait étaient trop occupés à satisfaire ce grand besoin naturel, la faim, pour qu’ils songeassent à autre chose qu’à l’affaire importante dont il s’agissait. Cependant, quand Mabel fut à une centaine de pieds du feu, elle marcha sur une

  1. Nom que les Indiens donnent aux femmes. (Note du traducteur.)