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tir sur mer. On aurait tiré des bordées chargées à boulet contre un objet à un demi-mille de distance tout au moins ; et les pommes de terre, s’il y en avait eu à bord, ce qui n’est pas très-probable, seraient restées dans les marmites du cuisinier. Le métier de soldat peut être très-honorable, Mabel, mais un œil expérimenté voit bien des folies et des faiblesses dans un de ces forts. Quant à ce lac en miniature, vous en connaissez déjà mon opinion, et je ne veux rien décrier. Un vrai marin ne décrie jamais rien ; mais du diable si je regarde cet Ontario, comme ils l’appellent, autrement que comme l’eau que contient le charnier d’un navire. Regardez, Mabel, si vous voulez savoir quelle est la différence entre l’océan et un lac, un seul regard vous le fera comprendre. Ceci est ce qu’on peut appeler un calme, attendu qu’il ne fait pas de vent, quoique, pour dire la vérité, je ne croie pas que vos calmes sur un lac soient aussi calmes que ceux que nous avons sur l’Océan.

— Il n’y a pas un souffle d’air, mon oncle. Il me semble impossible que des feuilles soient plus immobiles que ne le sont en ce moment celles de cette forêt.

— Les feuilles, mon enfant ! qu’est-ce que c’est que des feuilles ? Il n’y en a pas sur l’Océan. Si vous voulez savoir s’il fait un calme plat ou non, essayez une chandelle moulée, — la flamme d’une chandelle à la baguette étant trop vacillante. — et alors vous pouvez être sûre s’il fait du vent ou s’il n’en fait point. Si vous étiez dans une latitude où l’air serait assez tranquille pour vous gêner la respiration, vous pourriez croire que c’est un calme. On est souvent à demi-ration d’air dans les latitudes calmes. — Mais je vous le dis encore, regardez cette eau. On dirait du lait dans une terrine, sans plus de mouvement qu’il n’y en a dans une intaille avant que le bondon en soit ôté. Sur l’Océan l’eau n’est jamais tranquille, quelle que puisse être la tranquillité de l’air.

— L’eau de l’Océan n’est jamais tranquille, mon oncle ! Quoi ! pas même dans un calme ?

— Certainement non, mon enfant. L’Océan respire comme un être vivant, et son sein palpite sans cesse, comme disent les poètes, quoiqu’il ne fasse pas plus d’air qu’on n’en trouverait dans un siphon. Personne n’a jamais vu l’Océan tranquille. Il se hausse et se baisse comme s’il avait des poumons.

— Mais ce lac n’est pas tout à fait tranquille : vous pouvez