Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 17, 1840.djvu/12

Cette page a été validée par deux contributeurs.
8
LE LAC ONTARIO.

avait été si imposante, que Charles Cap, — tel était le nom du vieux marin, — même dans son humeur la plus dogmatique ou la plus facétieuse, n’avait osé s’avancer jusqu’à la familiarité dans les rapports qu’ils avaient ensemble depuis plus de huit ans. Cependant la vue de la fumée avait frappé le marin comme l’apparition inattendue d’une voile en pleine mer, et pour la première fois il s’était hasardé à lui toucher l’épaule, comme nous venons de le dire.

L’œil vif du Tuscarora aperçut à l’instant la petite colonne de fumée, et pendant une minute il resta légèrement levé sur la pointe des pieds, les narines ouvertes, comme le chevreuil qui sent une piste, et les yeux aussi fixes que ceux du chien d’arrêt bien dressé qui attend le coup de fusil de son maître. Retombant alors sur ses pieds, une exclamation à voix basse, de ce ton doux qui forme un si singulier contraste avec les cris sauvages d’un guerrier indien, se fit à peine entendre, et, du reste, il ne montra aucune émotion. Sa physionomie était calme, et son œil, noir et perçant comme celui d’un aigle, parcourait tout ce panorama de feuillage, comme pour saisir, d’un seul regard, toutes les circonstances qui pouvaient l’éclairer. L’oncle et la nièce savaient fort bien que le long voyage qu’ils avaient entrepris pour traverser une large ceinture de déserts sauvages, n’était pas sans danger ; mais ils ne pouvaient décider si un signe qui annonçait la présence d’autres hommes dans leurs environs, était un bon ou un mauvais augure.

— Il faut qu’il y ait près de nous des Onéidas ou des Tuscaroras, Arrowhead, — dit Cap à l’Indien. — Ne ferions-nous pas bien d’aller les joindre, afin de passer commodément la nuit dans leur wigwam ?

— Pas de wigwam ici, — répondit Arrowhead avec son air tranquille, — trop d’arbres.

— Mais il faut qu’il y ait là des Indiens ; et il s’y trouve peut-être quelques-unes de vos anciennes connaissances, Arrowhead.

— Point de Tuscaroras, — point d’Onéidas, — point de Mohawks. — Feu de face-pâle.

— Comment diable ? — Eh bien ! Magnet, voilà qui surpasse la philosophie d’un marin. Nous autres, vieux chiens de mer, nous pouvons distinguer la chique d’un soldat de celle d’un matelot, et le nid d’un marin d’eau douce du hamac d’un élève de marine ; mais je ne crois pas que le plus ancien amiral au ser-