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un bruit sourd semblable à un coup de canon tiré dans l’éloignement. Nulle voile ne se montrait sur sa surface ; on n’y voyait sauter ni baleine ni aucun autre poisson ; nul signe d’utilité ne récompensait l’œil long-temps fixé sur son immense étendue. C’était une scène qui présentait d’une part des forêts paraissant sans fin, et de l’autre une eau semblant également interminable. La nature semblait s’être plu à placer deux de ses principaux agents en relief à côté l’un de l’autre ; l’œil se tournant du large tapis de feuilles, à la masse non moins large du fluide ; des soulèvements doux mais perpétuels du lac, au calme et à la solitude poétique de la forêt, avec autant d’étonnement que de plaisir. Mabel Dunham, dont le caractère était aussi naturel que celui de la plupart de ses concitoyennes à cette époque, et qui était aussi franche et aussi ingénue que pouvait l’être une jeune fille dont le cœur était affectueux et sincère, était pourtant capable de sentir la poésie de cette belle terre que nous habitons. À peine pouvait-on dire qu’elle eût reçu de l’éducation, car dans ce temps et dans ce pays la plupart des personnes de son sexe ne recevaient guère que les premiers rudiments de l’instruction fort simple qu’on leur donnait en Angleterre ; cependant elle avait appris beaucoup plus de choses qu’il n’était ordinaire à une jeune fille de sa condition ; et dans un sens, elle faisait certainement honneur à ceux qui lui avaient servi de maîtres. La veuve d’un officier qui avait autrefois fait partie du même régiment que son père, s’était chargée d’elle à la mort de sa mère, et grâce aux soins de cette dame, Mabel avait acquis des goûts et des idées qui, sans cela, n’auraient jamais pris racine en elle. Elle avait été reçue dans cette famille, moins comme domestique que comme humble compagne, et les résultats s’en faisaient sentir dans sa mise, dans son langage et dans ses sentiments, quoique, sous ces différents rapports, elle ne fût pas tout à fait au niveau de ce qu’on appelle une dame. Elle avait perdu les habitudes et les manières communes de sa première condition, sans avoir atteint un degré d’élégance qui la rendît peu propre à la situation que sa naissance et sa fortune devaient probablement lui faire occuper dans le monde. Du reste, toutes les qualités particulières et distinctives qu’elle possédait appartenaient à son caractère naturel.

D’après ce que nous venons de dire, le lecteur apprendra sans surprise que Mabel vit la nouvelle scène qui s’offrit à ses yeux avec un plaisir bien supérieur à celui que produit un étonnement