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LE LAC ONTARIO.

C’était la vaste étendue de cette vue, et la surface presque non interrompue de verdure, qui contenait le principe de grandeur. La beauté se trouvait dans les teintes délicates, rehaussées par de fréquentes gradations de jour et d’ombre ; et le repos solennel de la nature inspirait un sentiment voisin du respect.

— Mon oncle, — dit la jeune fille surprise mais charmée à son compagnon, dont elle touchait le bras plutôt qu’elle ne s’y appuyait pour donner de la stabilité à son pied léger mais ferme, — ceci est comme une vue de cet océan que vous aimez tant.

— Voilà ce que c’est que l’ignorance et l’imagination d’une fille, Magnet[1], — terme d’affection que le marin employait souvent pour faire allusion aux attraits personnels de sa nièce ; personne qu’une jeune fille ne songerait à comparer cette poignée de feuilles à la mer Atlantique. On pourrait attacher toutes ces cimes d’arbres à la jaquette de Neptune, et ce ne serait pour lui qu’un bouquet.

— Il y a dans ce que vous dites, mon oncle, plus d’imagination que de vérité, à ce que je crois. Regardez là-bas ! il doit y avoir des milles et des milles, et cependant vous ne voyez que des feuilles. Que verriez-vous de plus en regardant l’océan ?

— De plus ? — répéta l’oncle en faisant un geste d’impatience du coude que sa nièce touchait, car il avait les bras croisés, et les mains enfoncées dans une veste de drap rouge, suivant la mode du temps. — C’est de moins que vous voulez dire. Où sont vos vagues écumantes, votre eau bleue, vos brisants, vos baleines, vos trombes, et votre roulis perpétuel des ondes dans cette miniature de forêt, mon enfant ?

— Et où sont vos cimes d’arbres, votre silence solennel, vos feuilles odoriférantes et votre belle verdure, sur l’océan, mon oncle ?

— Verdure ! fadaise, ma nièce. Vous n’y entendez rien, sans quoi vous sauriez que l’eau verte est le fléau d’un marin.

— Mais la verdure des arbres est une chose toute différente. — Écoutez ! ce son est le souffle de l’air, qui respire entre les arbres.

— Il faudrait entendre le vent du nord-ouest respirer en pleine mer, enfant, pour parler de l’haleine du vent. Mais où y a-t-il

  1. Pierre d’aimant, pour ne pas appeler la jeune fille aimant, ou bien encore marinette ancien nom de la boussole. (Note du traducteur.)