— J’apprécie pleinement votre motif, ma chère mistress Bloomfield, répondit Ève avec ce sourire gracieux qui lui était naturel, car elle se sentait soulagée en pensant que l’affection que cette dame avait pour elle lui avait inspiré des alarmes sans fondement relativement à Paul. Qu’il n’y ait donc aucune réserve entre nous, je vous prie. Si vous connaissez une raison pour que M. Powis ne soit pas admis à prétendre à ma main, je vous serai très-obligée de me la faire connaître.
— Est-il bien véritablement M. Powis ?
Ève sourit encore, à la grande surprise de mistress Bloomfield, qui n’avait fait cette question qu’avec répugnance, et elle fut étonnée du sang-froid avec lequel son amie l’avait entendue.
— Peut-être n’est-il pas légalement M. Powis, répondit-elle après un instant d’hésitation, quoiqu’il pût l’être s’il ne lui répugnait de s’adresser publiquement à cet effet à la législature. — Le nom de son père est Assheton.
— Vous connaissez donc son histoire ?
— Parfaitement. Il n’y a eu aucune réserve de la part de M. Powis, et surtout aucune envie de me tromper.
Mistress Bloomfield parut embarrassée et même chagrine, et il y eut un court intervalle de silence pendant lequel elle eut quelque peine à se décider sur la marche qu’elle devait suivre. Qu’elle eût commis une erreur en voulant donner des conseils à une jeune personne qui avait déjà disposé de son cœur, c’était ce qu’elle n’avait reconnu que lorsqu’il était trop tard ; mais elle faisait trop de cas de l’amitié d’Ève et elle sentait trop bien ce qu’elle se devait à elle-même pour laisser cette affaire où elle en était, ou du moins sans se justifier de s’en être mêlée sans que personne l’en priât.
— Je suis charmée de l’apprendre, dit-elle dès qu’elle eut pris son parti ; car la franchise est un des traits les plus beaux comme les plus sûrs du caractère. Mais, quelque beau qu’il soit, c’en est un que nous trouvons rarement chez les hommes.
— Et notre sexe est-il trop disposé à le montrer à l’autre ?
— Peut-être non. Il vaudrait mieux pour les deux parties, qu’on cherchât moins à se tromper pendant qu’un homme fait la cour à une femme ; mais comme cela ne peut s’espérer, et que ce serait d’ailleurs l’anéantissement de quelques-unes des plus belles illusions de la vie, nous ne commencerons pas un traité sur la duplicité de Cupidon. Venons-en donc à mes aveux, et je les ferai