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— C’est donc un Anglais, après tout ? lui répéta M. Sharp dans un autre aparté.

— Pourquoi pas un Allemand, — un Suisse, — un Russe même ?

— Il parle anglais parfaitement. Nul homme né sur le continent ne pourrait le parler si couramment avec un tel choix d’expressions, sans le moindre accent, sans aucun effort. Comme le disait mademoiselle Viefville, il ne parle pas assez bien pour être étranger.

Ève garda le silence, car elle réfléchissait à la manière singulière dont une conversation, si étrangement commencée, avait amené l’explication d’un point qui lui avait si souvent paru douteux. Vingt fois elle avait décidé que ce jeune homme, qu’elle ne pouvait appeler ni un étranger, ni une connaissance, était son compatriote, et aussi souvent elle avait été portée à changer d’opinion. Il s’était enfin expliqué, et elle était obligée de le regarder comme Européen, quoiqu’elle ne fût pas encore disposée à croire qu’il était anglais. Elle avait pour cela des raisons qu’il pouvait ne pas être à propos de faire connaître à un homme né dans l’île qu’elle venait de quitter, et elle savait que M. Sharp était Anglais.

La musique succéda à cette conversation ; Ève ayant pris la précaution de faire accorder le piano avant son départ, soin que nous recommandons à tous ceux qui ne songent pas uniquement à l’extérieur de cet instrument, et qui ont quelques égards pour leurs oreilles. John Effingham avait une exécution brillante sur le violon, et l’on apprit que les deux jeunes gens jouaient très-joliment de la flûte, du flageolet et d’un ou deux autres instruments à vent. Nous les laisserons faire honneur aux compositions de Beethoven, de Rossini et de Meyerbeer, dont M. Dodge ne manquait jamais de critiquer les compositions comme affectées et indignes d’attention, et nous retournerons auprès du capitaine.

M. Truck, pendant toute la soirée, avait continué à se promener seul sur le pont, plongé dans une humeur sombre, et il ne sortit de sa distraction que lorsqu’il vit qu’on changeait le quart. Ayant demandé quelle heure il était, il monta sur le mât d’artimon avec une longue-vue de nuit, et chercha l’Écume de tous côtés. Il ne put la découvrir, l’épaisseur des ténèbres ayant circonscrit l’horizon sensuel dans des bornes plus étroites.

— Cela pourra aller, murmura-t-il en s’aidant d’un cordage pour redescendre sur le pont. Il appela M. Leach, et il fit ordonner au quart qui venait d’être relevé, de rester sur le pont.

Quand tous furent prêts, M. Leach fit la visite de tout le bâtiment, afin de faire éteindre toutes les chandelles, et il fit mettre les capu-