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vaut un autre, une loterie déciderait l’affaire plus promptement, à moins de frais et plus facilement. À quoi bon même une loterie ? Pourquoi ne pas choisir le président par le hennissement d’un cheval, comme le firent une fois les Perses ?

— Ce serait vraiment une manière d’agir fort extraordinaire chez un peuple intelligent et vertueux, et je prendrai la liberté de vous dire, monsieur Blunt, que je vous soupçonne de plaisanter. Si pourtant il vous faut une réponse, je vous dirai que de cette manière nous pourrions avoir pour président un coquin, un fou ou un traître.

— Comment ? monsieur Dodge ! je ne m’attendais pas à vous entendre parler ainsi de ce pays. Tous les Américains sont-ils donc des coquins, des fous et des traîtres ?

— Si vous avez dessein de voyager beaucoup dans notre pays, Monsieur, je vous conseille d’avoir grand soin de ne pas laisser échapper une telle insinuation, car elle recevrait une désapprobation générale et sans réserve. Les Américains sont libres et éclairés, et sont aussi loin de mériter de pareilles expressions que quelque peuple que ce puisse être.

— C’est pourtant un fait qui résulte de votre théorie. Si un homme en vaut un autre, et qu’il s’en trouve un qui soit coquin, fou ou traître, tous doivent être traîtres, fous ou coquins. Ce n’est pas moi qui le dis ; c’est, je crois, une conséquence inévitable de votre propre proposition.

Pendant l’instant de silence qui suivit, M. Sharp dit à Ève à voix basse : — Il est Anglais, après tout.

— M. Dodge ne veut pas dire qu’un homme en vaille un autre dans ce sens particulier, dit M. Effingham avec bonté, en sa qualité d’hôte ; ses vues sont, je crois, moins générales que ses expressions ne nous avaient d’abord portés à le supposer.

— Vous avez raison, monsieur Effingham, tout à fait raison. Un homme n’en vaut pas un autre dans ce sens particulier, dans le sens des élections ; mais cela est vrai dans tous les autres. Oui, Monsieur, ajouta-t-il en se tournant vers M. Blunt, comme on renouvelle une attaque contre un antagoniste, quand on a repris haleine après avoir été renversé ; oui, dans tous les autres sens, un homme en vaut un autre sans aucune distinction, un homme a les mêmes droits qu’un autre.

— L’esclave comme l’homme libre ?

— L’esclave est une exception, Monsieur. Mais, dans tout état libre, excepté le cas des élections, un homme en vaut un autre en