Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 15, 1839.djvu/92

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ginal dans ses idées. Je crois que vous conviendrez avec moi, Monsieur, que c’est une grande présomption dans un Américain de différer d’opinion avec ses concitoyens.

— Je suis persuadé, Monsieur, que personne ne pourrait avoir celle d’en différer avec vous.

— Je parle, Monsieur, non, par aucun motif personnel, mais d’après de grands principes généraux, qu’on doit soutenir pour l’intérêt du genre humain. Je ne vois pas qu’un homme ait le droit d’être original dans ses idées dans un pays libre. C’est un usage aristocratique ; c’est avoir l’air de penser qu’un homme vaut mieux qu’un autre. Je suis sûr que M. John Effingham ne peut l’approuver.

— Peut-être non ; la liberté a beaucoup de lois arbitraires qu’il n’est pas à propos de violer.

— Très-certainement, Monsieur ; sans quoi où serait sa suprématie ? Si le peuple ne peut réprimer et abattre l’originalité d’opinion et tout ce qui lui déplaît, autant vaut vivre tout d’un coup sous le despotisme.

Ève vit que l’œil de son cousin prenait une expression menaçante, et elle craignit qu’il ne lançât quelque sarcasme qui se ferait sentir trop vivement à Steadfast. Elle sentait d’ailleurs une certaine disposition à s’amuser du genre de philosophie du patriote ; et cette disposition l’emportant sur la force de répulsion qui avait d’abord agi sur elle, elle lui adressa la parole : — Monsieur Dodge, dit-elle, comme j’ai passé bien des années en pays étranger, voulez-vous me faire le plaisir de me faire connaître quelques-uns de ces grands principes de liberté dont j’entends si souvent parler ? car j’ai lieu de craindre que ceux qui ont été chargés de mon éducation en Europe n’aient passé trop légèrement sur ce point.

Mademoiselle Viefville prit un air grave, Sharp et Blunt semblèrent enchantés, M. Dodge lui-même parut embarrassé.

— Je me trouverais fort peu en état d’instruire miss Effingham sur un pareil sujet, répondit-il avec modestie ; elle a sûrement vu trop de misère dans tous les pays qu’elle a visités pour ne pas apprécier justement tous les avantages de l’heureuse contrée qui a l’honneur de la réclamer comme une de ses charmantes filles.

Ève fut effrayée de sa propre témérité, car elle ne s’attendait pas à voir l’éloquence de M. Dodge prendre un tel essor pour répondre à une simple question. Mais il était trop tard pour reculer.

— Aucun des hommes illustres, des demi-dieux qu’a produits notre pays chéri, continua-t-il, ne saurait avoir plus de zèle que moi pour son honneur ; mais je crains que mes talents ne soient insuffi-