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gnaient dans son comté ; de quelle manière elle influerait sur la prochaine élection, et si elle le placerait plus haut ou plus bas dans l’esprit de ses voisins. Nul esclave en Afrique ne craignait plus le courroux d’un maître vindicatif, que M. Dodge ne redoutait les remarques, les commentaires, les critiques et les railleries de quiconque appartenait au parti politique qui avait alors l’ascendant dans son comté. À l’égard de la minorité, il était brave comme un lion ; il méprisait ouvertement tous ceux qui en faisaient partie, et était le premier à tourner en ridicule tout ce qu’ils disaient ou faisaient. Ceci n’était pourtant vrai qu’en politique ; car, dès que l’esprit de parti se reposait, il ne restait plus à Steadfast une étincelle de valeur, et en toute autre chose il consultait avec soin chaque opinion publique de son voisinage. Ce digne homme avait pourtant ses faiblesses comme un autre ; bien plus, il les connaissait lui-même, et il cherchait, sinon à les corriger, du moins à les cacher. En un mot, Steadfast Dodge était un homme qui voulait se mêler de tout et tout diriger, sans posséder la force qui lui aurait été nécessaire pour rester maître de lui-même. Il était dévoré d’une soif ardente pour obtenir la bonne opinion de tout le monde, sans toujours prendre les moyens convenables pour conserver la sienne. Il réclamait à haute voix en faveur des droits de la communauté, et oubliait que la communauté n’est qu’un moyen pour arriver à une fin. Il sentait pour tout ce qui était hors de sa portée un profond respect qui se manifestait, non par de mâles efforts pour arriver au fruit défendu, mais par un esprit d’opposition et d’hostilité qui ne faisait que mettre au grand jour la jalousie qu’il cherchait à cacher sous le masque d’un intérêt ardent pour les droits du peuple ; car on l’avait entendu déclarer qu’il était intolérable qu’un homme possédât quelque chose, même des qualités, que ses voisins ne pussent partager avec lui. Tels étaient les principes et les idées dont se nourrissait M. Dodge par esprit de liberté.

D’une autre part, John Truck, en commandant son bâtiment, était civil envers ses passagers par habitude autant que par politique. Il savait que tout bâtiment doit avoir un capitaine ; regardait les hommes comme n’étant guère que des ânes ; faisait ses observations sans s’inquiéter le moins du monde de celles de ses aides, et n’était jamais plus disposé à suivre ses propres idées que lorsqu’il voyait tout son équipage en murmurer et s’y montrer contraire. Il était naturellement audacieux, avait un esprit décidé qu’il devait à une longue expérience et à sa confiance habituelle en lui-même, et était un homme fait, sous tous les rapports, pour conduire aussi bien sa