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— Jusqu’à quel point un de mes compatriotes, ayant ou non l’esprit du pays, peut avoir raison de vouloir montrer une politesse extrême à un de vos croiseurs, c’est ce que je laisserai à décider au capitaine Truck, reprit Ève. Mais quant à M. Blunt, il y a longtemps que je ne saurais dire s’il est Anglais ou Américain, ou même s’il est l’un ou l’autre.

— Longtemps, miss Effingham ! Il a donc l’honneur d’être connu de vous ?

Un coloris plus vif brilla sur les joues d’Ève ; mais fallait-il l’attribuer à l’exclamation impétueuse de M. Sharp, ou à quelque sentiment qui se rattachait au sujet de leur conversation ? c’est ce que M. Sharp ne put découvrir.

— Longtemps, d’après la manière dont une fille de vingt ans compte le temps, répondit Ève sans se déconcerter, peut-être quatre à cinq ans ; mais le fait est que j’ignore encore quel est son pays.

— Et puis-je vous demander si vous lui faites l’honneur de le croire Américain ou Anglais ?

— Il y a dans cette question tant de finesse et de politesse en même temps, répondit Ève en souriant, qu’il serait mal à moi de refuser d’y répondre. Ne m’interrompez pas, ne gâtez pas tout ce que vous avez dit de bon par d’inutiles protestations de sincérité.

— Tout ce que je désire, c’est de vous demander l’explication du mot finesse. J’en suis aussi éloigné que de vouloir attirer sur moi votre déplaisir.

— Croyez-vous donc réellement que ce soit un honneur d’être Américain ?

— Il faut avoir toute la modestie de miss Effingham pour songer à faire une telle question.

— Je vous remercie de votre politesse, et je présume que je dois la prendre pour ce que vous la donnez sans doute, une chose dans les règles du savoir-vivre ; mais pour laisser de côté nos belles opinions l’un de l’autre, et en revenir à la question…

— Pardon, mais je sens que mon bon sens s’y oppose. Vous ne pouvez m’attribuer des opinions si déraisonnables, si indignes d’un homme bien élevé, si mal fondées en un mot. Ne me suis-je pas exposé aux risques et aux privations d’un long voyage sur mer, tout exprès pour aller voir votre grand pays, et, comme je l’espère, pour profiter des exemples et de la société que j’y trouverai ?

— Puisque vous le désirez, monsieur Sharp, — et en prononçant ce mot Ève jeta sur lui un regard malin, — je serai aussi crédule que ceux qui croient au magnétisme animal, et je crois que c’est pousser