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cher des bouteilles, et à répondre à quiconque les appelle. L’apathie est la grande qualité requise pour occuper un tel poste ; et malheur au pauvre diable qui s’imagine qu’un peu de zèle et de bonne volonté est nécessaire pour remplir ses fonctions ! Depuis le moment où le bâtiment met à la voile, jusqu’à celui où l’on se prépare à jeter l’ancre, nul sourire n’épanouit son visage, nul son ne sort de sa bouche, que celui qui est inspiré par la routine, c’est-à-dire une soumission servile à ceux qui sont au-dessus de lui, et une autorité insolente à l’égard de ceux qui sont au-dessous. Cependant il devient gracieux et souriant quand arrive le moment du trink-gelt ou de la buona mancia[1]. Lorsqu’il paraît pour la première fois le matin, il a à répondre à une suite régulière de questions ; mais, semblable à l’excellent fils Zéluco qui avait écrit le même jour toutes ses lettres à sa mère pour n’avoir que les dates à y ajouter quand il voudrait en faire partir une, à une suite de réponses préparées d’avance dans son esprit gastronomique. — « D’où vient le vent ? » — « Quel temps fait-il ? » — « Où est le cap ? » Toutes ces questions se font en même temps à l’almanach vivant, et il est prêt à y répondre. Il arrive pourtant assez souvent, qu’après qu’il a répondu, on l’entend ordonner à un subalterne de monter sur le pont afin de s’assurer des faits. Ce n’est que lorsque la voix du capitaine l’interroge qu’il se croit obligé de répondre d’une manière orthodoxe et exacte. Tel est pourtant le tact de ceux qui sont au fait de la vie d’un bâtiment, qu’ils reconnaissent sur-le-champ les ignorants, qui sont uniformément traités avec toute l’indifférence que leur ignorance mérite. Même le vieux matelot du gaillard d’avant est doué d’un instinct qui lui fait reconnaître un marin dans un passager, et il répond à ses questions avec tout le respect dû à Neptune, tandis que le voyageur novice n’obtient qu’une réponse équivoque ou est exposé à une mystification.

Dans la matinée qui suivit le départ, le maître d’hôtel du Montauk commença la distribution de ses nouvelles. Dès qu’on l’entendit remuer les verres et les assiettes, l’attaque fut entamée par M. Dodge, qui se faisait un principe de montrer sa soif pour les connaissances en faisant des questions. Comme nous l’avons déjà dit, il était venu en Europe sur le même bâtiment, et non-seulement le maître d’hôtel, mais tout l’équipage sans exception, avait pris la mesure de son pied, phrase d’argot que nous nous permettons d’emprunter. Le court dialogue qui va suivre s’établit entre eux.

  1. Mots allemands et italiens qui signifient également pour-boire, gratification.