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M. Sharp avait trop de connaissance du monde pour ne pas s’apercevoir de la petite méprise qu’il avait faite, et après avoir prié de nouveau miss Effingham, sur le ton du badinage, de ne pas le trahir, il changea de sujet avec le tact d’un homme qui voyait que celui qu’il avait choisi ne pouvait continuer sans prendre un air confidentiel qu’Ève ne semblait pas disposée à permettre. Heureusement une pause qu’il y eut dans la conversation entre M. Blunt et mademoiselle Viefville, lui fournit le moyen de la rendre plus générale.

— Je crois que vous êtes Américain, monsieur Blunt, dit-il ; et comme je suis Anglais, nous pouvons nous escrimer à armes égales sur cette importante question du droit des gens, relativement à laquelle j’entends notre digne capitaine nous jeter à la tête des extraits de Vattel tout aussi facilement qu’une bouffée de tabac. J’espère du moins que vous penserez comme moi, que, lorsque cette corvette arrivera, il serait fort absurde à nous de faire quelque objection à ce qu’elle visitât le bâtiment ?

— Je ne vois pas qu’il soit nécessaire que je sois Américain pour émettre une opinion sur ce point, répondit M. Blunt avec politesse, quoique en souriant ; car ce qui est juste est juste, indépendamment de tout esprit de nationalité. Il me paraît donc qu’un bâtiment armé et au service d’un gouvernement, en temps de paix ou de guerre, doit avoir le droit de s’assurer du caractère de tout bâtiment marchand, du moins sur les côtes du pays auquel le croiseur appartient. S’il n’avait pas ce droit, il n’est pas aisé de voir comment il pourrait capturer des contrebandiers et des pirates, et s’acquitter des fonctions pour lesquelles il est mis en mer, quand il n’existe pas d’hostilités déclarées.

— Je suis charmé de vous trouver d’accord avec moi sur la légalité du droit de visite.

Paul Blunt sourit encore ; et comme ils arrivaient à un des bouts de leur courte promenade, Ève, en tournant, entrevit un instant ses beaux traits, et crut remarquer que leur expression annonçait un homme secrètement fier d’avoir pour lui la raison. Il répondit pourtant avec autant de douceur et de calme qu’auparavant.

— J’admets certainement le droit de visite, dit-il, mais seulement dans les cas dont je viens de parler et sans aller plus loin. Si une nation, par exemple, dénonce des actes de piraterie et charge des agents spéciaux de les découvrir et de les arrêter, il y a un motif pour accorder à ces agents tous les droits qui leur sont nécessaires pour s’acquitter de leurs devoirs ; mais en faisant cette concession,