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à l’agitation, ce primum mobile de tout patriotisme et de toute activité en Amérique, s’il faut en croire les théories du temps. L’indépendance de fortune avait produit en lui l’indépendance de pensée. L’étude et la réflexion l’avaient rendu original et juste, simplement en le mettant à l’abri de l’influence des passions ; et si des milliers d’hommes avaient l’esprit plus fin et plus délié pour démasquer les susceptibilités ou imposer à la masse, fort peu étaient aussi équitables, et nul n’était moins égoïste. Il aimait son pays natal, quoiqu’il regrettât les côtés faibles qu’il y découvrait ; il en était l’avocat ferme et constant en pays étrangers, sans en devenir le flatteur bas ou intéressé quand il se trouvait dans son sein ; et dans tous les temps, dans toutes les situations, il prouvait que son cœur était où il devait être.

Sur beaucoup de points essentiels, John Effingham était le contraire de tout cela. À une intelligence plus vive et plus vigoureuse que celle de son cousin il joignait des passions sur lesquelles il avait moins d’empire, une volonté plus opiniâtre, et des préjugés qui l’emportaient souvent sur sa raison. Son père avait hérité de la plus grande partie des biens mobiliers de sa famille ; il s’était plongé dans le tourbillon des spéculations qui suivirent l’adoption de la nouvelle constitution, et, prouvant la vérité du proverbe sacré qui dit : « Où est le trésor, là sera aussi le cœur, » il avait adopté aveuglément tous les principes factieux et inconciliables d’un parti, si l’on peut nommer principes des règles de conduite qui varient suivant l’intérêt du jour, et s’était imbu des erreurs courantes qui accompagnent toujours l’esprit de faction.

L’Amérique jouissait alors depuis trop peu de temps de son indépendance, et elle était trop insignifiante à tous autres yeux que les siens, pour pouvoir raisonner et agir par elle-même, excepté sur des points qui touchaient trop évidemment à ses intérêts immédiats pour qu’elle pût les négliger ; mais les grands principes, où il vaut peut-être mieux dire les grands intérêts sociaux qui divisaient alors l’Europe, produisirent autant de sensation dans ce pays éloigné, que le comportait un état de choses qui eut si peu de relations pratiques avec le résultat de cette lutte. Tous les Effingham s’étaient montrés fédéralistes dans le véritable sens de ce mot ; car leur éducation, leur bon sens naturel et leurs principes, leur donnaient du penchant pour le bon ordre, pour un bon gouvernement, et pour le maintien de la dignité de leur pays. Mais quand le feu des factions prit plus de force, et que les noms et les choses se confondirent et devinrent contradictoires, la branche de cette famille qui possédait