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Saunders roula ses yeux de manière à ne plus en laisser voir que le blanc, leva les épaules, et alla sur-le-champ s’acquitter de sa mission. Il trouva cependant le temps de s’arrêter dans l’office, et d’informer Toast que leurs soupçons, s’étaient réalisés, du moins en partie.

— Cela élucide, dit-il, la circonstance qu’il n’a pas de domestique, comme les autres passagers que nous avons à bord, et une variation d’autres incidents qui avaient besoin de développement. D’après ce que je viens d’entendre dire sur le pont, il paraît que M. Blunt est un M. Powis, nom qui est beaucoup plus distingué ; et, comme j’ai entendu hier, dans l’appartement des dames, nommer quelqu’un sir George, je ne serais pas très-surpris que M. Sharp vînt à être le véritable baronnet.

Il n’osa pas prendre le temps d’en dire davantage, et il se hâta d’aller avertir le coupable.

— C’est la partie la plus désagréable des devoirs d’un capitaine de paquebot entre l’Angleterre et l’Amérique, dit le capitaine Truck dès que Saunders fut parti. À peine un seul de ces bâtiments met-il à la voile sans avoir quelque fugitif d’une espèce ou d’une autre, soit sur l’avant, soit sur l’arrière, et nous sommes souvent appelés à aider les autorités civiles des deux côtés de l’eau.

— L’Amérique paraît être le pays favori de tous nos fripons anglais, dit M. Green d’un ton sec. Celui-ci est le troisième qui est parti de la même manière de notre département, depuis trois ans.

— Votre département est donc fertile en fripons, Monsieur ? répliqua le capitaine Truck dans le même esprit qui avait inspiré la première remarque.

M. Green était aussi entiché de l’Angleterre que peut l’être aucun homme de sa classe dans toute cette île. Régulier et méthodique en tout, grand travailleur par habitude, honnête parce qu’il s’en était fait une règle, il n’avait ni le temps ni la volonté d’avoir d’autres opinions que celles qu’on peut se former avec le moindre effort. Par suite de la sphère limitée dans laquelle il vivait, du moins dans un sens moral, il réunissait en lui tous les préjugés qui dominaient à l’époque où il avait commencé à avoir quelques idées. Sa haine pour la France était invincible, car il avait appris à voir en elle l’ennemie éternelle de l’Angleterre, et quant à l’Amérique, il la regardait comme un asile ouvert à tous les fripons de son pays, et comme étant la possession d’un peuple qui s’était révolté contre son roi, parce qu’il ne voulait pas se soumettre à la contrainte salutaire des lois. Il n’avait pas plus