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rang qu’il voyait se promener à cheval dans les parcs et à pied dans les rues ; et quoiqu’il sût fort bien qu’il n’était pas un lord, il commença à croire que c’était un bonheur de passer pour l’être, aux yeux des étrangers, une heure ou deux par semaine.

Il avait contracté une passion insurmontable pour les babioles et les colifichets les plus dispendieux ; elle s’était encore augmentée par la lecture qu’il avait faite dans les romans du jour de quelques caricatures de jeunes gens à la mode, et il ne trouva plus de bonheur qu’en s’y livrant. Un goût si coûteux épuisa bientôt ses modiques ressources. Une couple de petits actes de péculat qu’il commit, et qui ne furent pas découverts, l’encouragèrent dans ce crime ; et, enfin, une somme très-considérable se trouvant confiée à sa garde pour douze ou quinze jours, il y puisa si largement qu’il ne vit de ressource que dans la fuite. Une fois déterminé à quitter l’Angleterre, il pensa qu’il lui serait aussi facile d’en partir avec quarante mille livres que les mains vides ou avec ce qui lui restait de quelques centaines de livres qu’il s’était déjà appropriées. C’était une grande erreur, et elle fut la cause de sa perte ; ce fut parce que la somme était si forte, que le gouvernement se décida à prendre des mesures extraordinaires pour la recouvrer, et voilà pourquoi on avait fait, partir un croiseur pour donner la chasse au Montauk.

M. Green, qui avait été envoyé pour constater l’identité de l’accusé, était un homme froid et méthodique, semblable en tous points au père du fugitif. Il avait travaillé avec lui dans le même bureau ; comme lui, il avait donné une attention constante aux devoirs de sa place, et, comme lui, il les avait toujours remplis avec droiture et probité. Il regardait cet acte de péculat ou de vol, car il méritait à peine un nom moins odieux, non-seulement comme une honte pour le bureau auquel il était attaché, mais comme une tache imprimée à la mémoire d’un homme qu’il s’était toujours proposé pour modèle. On supposera donc aisément qu’un pareil homme n’était pas disposé à avoir beaucoup d’indulgence pour le coupable.

— Saunders, dit le capitaine Truck du ton sévère qu’il prenait quelquefois et qui annonçait toujours qu’il exigeait une obéissance immédiate, allez dans la chambre du passager qui s’est nommé sir George Templemore ; présentez-lui mes compliments ; — faites-y attention, monsieur Saunders, — les compliments du capitaine Truck ; — et dites-lui que je désire avoir l’honneur de sa compagnie dans ce salon. Songez-y bien — l’honneur de sa compagnie. — Si cela ne le fait pas sortir de sa chambre, je trouverai quelque autre moyen de l’en tirer.