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revenu, et il avait offert ses services, ainsi que la plupart des passagers ; mais John Effingham congédia jusqu’à son domestique, et il déclara que son intention était de ne pas quitter le malade de la nuit. M. Lundi avait mis en lui sa confiance ; il paraissait bien aise de le voir auprès de lui, et John regardait comme une sorte de devoir de ne pas l’abandonner dans de pareilles circonstances. Il n’y avait rien à espérer de plus que de procurer quelque léger allégement à ses souffrances ; mais ce peu, il se croyait avec raison aussi en état que personne de le faire.

La mort est effrayante pour les hommes les plus intrépides, quand elle arrive à pas furtifs dans le silence et la solitude de la nuit ; John Effingham était un de ces hommes, mais il sentit tout ce que sa situation avait de particulier quand il resta seul dans la chambre, assis au chevet de M. Lundi, écoutant le clapotage des eaux que fendait le bâtiment, et la respiration pénible du malade. Plusieurs fois il se sentit tenté de s’échapper quelques minutes pour aller respirer l’air pur de l’Océan, mais, au moindre mouvement, le mourant entrouvrait la paupière pour l’arrêter par un regard jaloux : il semblait que sa présence fût sa dernière espérance de salut. Lorsque John humectait les lèvres desséchées de M. Lundi, le regard qu’il en recevait peignait la gratitude, et une ou deux paroles murmurées à peine exprimèrent ce sentiment. Il lui était impossible d’abandonner un être si délaissé, si désespéré ; et tout en sentant bien qu’il ne pouvait lui rendre aucun service matériel, autre que celui de le soutenir par sa présence, il lui semblait que c’en était assez pour qu’il dût s’imposer de bien plus grands sacrifices.

Pendant un des intervalles de sommeil agité du mourant, John, qui épiait toutes les variations de sa physionomie, crut y voir la dernière lutte d’une âme qui va quitter sa demeure ; et il réfléchit au caractère et à la destinée de l’être dont il lui était donné si singulièrement de voir le départ pour le monde des esprits.

— Je ne sais rien de son origine, se dit-il, si ce n’est par quelques mots qui lui sont échappés, et par le fait évident que, pour la position sociale, elle atteignait tout au plus le milieu de l’échelle. C’est un de ces êtres qui semblent vivre pour les motifs les plus vulgaires qui puissent animer des hommes ayant quelque instruction, et dont le savoir-vivre, tel quel, n’est qu’une sorte de routine et d’habitude. Ignorant, dès qu’on le soit des opinions banales d’une secte, rempli de préjugés pour tout ce qui concerne les nations, les religions, les caractères ; cauteleux, sous une apparence d’honnêteté bruyante ; intolérant et crédule ; effronté dans ses critiques, sans le moindre