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attendaient. Une sueur froide couvrit son front ; et il fixait tantôt sur l’un tantôt sur l’autre un œil égaré. L’accès ne fut pourtant que passager, et il retomba bientôt dans un état comparativement calme, repoussant avec une sorte de degoût le verre que, dans son zèle mal entendu, la capitaine Truck lui présentait.

— Il faut que nous le consolions, Leach, murmura le capitaine ; car, voyez-vous, c’est toujours la même chanson : d’abord des gémissements, et le diable en perspective ; et puis la consolation et l’espérance. Nous l’avons remorqué dans la première catégorie ; nous devons maintenant, en toute justice, virer encore au cabestan, et tâcher de l’aider à franchir la dernière passe.

— Sur la Rivière on leur administre ordinairement une prière à cette période de la maladie, dit Leach. Si vous pouviez vous rappeler un bout de prière, capitaine, cela le soulagerait.

Malgré la bizarrerie de leur langage et de leurs sentiments, le capitaine Truck et son lieutenant étaient vivement touchés de cette scène, et ils étaient dirigés par les motifs les plus bienveillants. Rien de léger ne se mêlait à leur conduite : ils sentaient toute leur responsabilité comme officiers de paquebot, et en outre ils éprouvaient un intérêt généreux pour le sort d’un étranger qui était tombé en combattant généreusement à leurs côtés. Le capitaine regarda gauchement autour de lui, donna un tour de clef à la serrure, s’essuya les yeux, insinua à son lieutenant, avec le coude, de suivre son exemple, et se mit à genoux avec des sentiments tout aussi fervents pour le moment que le prêtre, qui officie à l’autel. Il se rappelait à peu près la prière de Notre Seigneur, et il la récita à haute voix, distinctement, et avec ferveur, quoique sans suivre littéralement le texte. Une fois M. Leach eut à lui souffler un mot. Quand il se releva, son front était tout couvert de sueur, comme s’il venait de se livrer au travail le plus fatigant.

Peut-être ne pouvait-il y avoir rien de plus propre à frapper l’imagination de M. Lundi que de voir un homme du caractère et des habitudes du capitaine Truck ainsi aux prises avec Dieu en sa faveur. Dans son intelligence épaisse et bornée, la première impression fut celle de la stupeur ; le respect et la contrition vinrent ensuite. Le lieutenant lui-même en fut ému, et il dit plus tard à son compagnon, sur le pont, que la plus rude besogne qu’il eût jamais faite, avait été de donner un coup de main au capitaine pour l’aider à se tirer de cette prière.

— Je vous remercie, commandant, je vous remercie, murmura M. Lundi. — M. John Effingham ! — que je voie à présent