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— Oui, ajouta M. Leach, et c’est un port où tôt ou tard nous entrerons tous.

M. Lundi promena ses yeux de l’un à l’autre, et quelque chose de l’état moral où il était avant l’administration du cordial sembla revenir.

— Me croyez-vous donc si mal, Messieurs ? demanda-t-il presque comme un homme qui se réveille en sursaut.

— Aussi mal qu’un homme qui gouverne en droite ligne vers une si bonne plage, ce qui, j’en ai l’espoir et la ferme confiance, est le cas où vous vous trouvez, reprit le capitaine, déterminé à poursuivre l’avantage qu’il avait obtenu. Votre blessure est, je le crains bien, mortelle, et il est rare qu’on reste longtemps dans ce méchant monde avec de pareilles entailles.

— S’il pare cette botte, pensa le capitaine, je le passe tout de suite à M. Effingham.

M. Lundi ne la para point. La force artificielle produite par la liqueur restait bien encore ; mais l’illusion morale qu’elle avait produite commençait déjà à s’évaporer, et la triste vérité reprenait son empire.

— Je crois, en effet, Messieurs, que je touche à ma fin, dit-il d’une voix faible, et je vous remercie de — de cette consolation.

— Voilà le moment de lancer le chapitre, dit tout bas Leach ; il a toute sa connaissance et paraît très-contrit.

Le capitaine Truck, en désespoir de cause, et sentant qu’il n’était pas juge compétent en pareille matière, s’était décidé à laisser le choix de ce chapitre au hasard. Peut-être agit-il ainsi en partie sous l’influence de cette dépendance mystérieuse de la Providence qui rend tous les hommes plus ou moins superstitieux ; et aussi dans l’espoir qu’une sagesse bien supérieure à la sienne pourrait diriger le choix. Heureusement le livre des psaumes est presque au milieu du volume sacré, disposition excellente pour celui qui ouvre la Bible au hasard, puisque le plus souvent il tombera sur ces pages, sublime répertoire de louange pieuse et de sagesse spirituelle.

Si nous disions que M. Lundi éprouva un grand soulagement moral de la lecture du capitaine Truck, nous ferions trop d’honneur au débit de l’honnête marin et à l’intelligence du moribond. Néanmoins ce langage solennel de louange et d’admonition produisit son effet, et pour la première fois depuis son enfance, l’âme de ce dernier fut émue. Dieu et le jugement dernier passèrent devant son imagination, et il haleta, cherchant à respirer, de manière à faire croire aux deux marins que le moment fatal était venu, plus tôt même qu’ils ne s’y