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— C’est du moins admettre jusqu’à un certain point la vérité de l’accusation, miss Effingham, dit John Effinglram en souriant, et nous pouvons absoudre l’accusée. Il est assez bizarre que l’Angleterre regarde l’Amérique comme rebelle, ce qui, j’en conviens, est l’opinion de beaucoup d’Anglais, tandis qu’en réalité c’est l’Angleterre qui fut la rebelle, et cela même relativement aux questions qui produisirent la révolution américaine.

— Voilà qui est nouveau, dit sir George ; et je serais assez curieux de voir comment vous vous y prendriez pour établir ce point.

John Effingham n’hésita pas.

— Il faut avant tout, dit-il, oublier les noms et les personnes, pour ne considérer que les faits et les choses. Quand l’Amérique fut colonisée, il se fit un pacte, qu’on l’appelle chartes ou lois organiques, en vertu duquel toutes les colonies avaient des droits distincts, tandis que d’un autre côté elles reconnaissaient la suprématie du roi. Mais alors le monarque anglais était roi en effet. Par exemple, il faisait usage de son veto à l’égard des lois, et il exerçait autrement encore ses prérogatives. Son influence sur le parlement était plus forte que celle du parlement sur lui. Dans cet état de choses, on pouvait supposer que des contrées séparées par l’Océan étaient gouvernées équitablement, le monarque commun éprouvant une même et paternelle affection pour tous ses sujets. Peut-être même la distance pouvait-elle être un motif pour lui de veiller avec plus de sollicitude encore aux intérêts de ceux qui n’étaient point là pour se protéger eux-mêmes.

— C’est du moins poser loyalement la question, dit sir George.

— Voilà précisément sous quel jour je désire qu’elle soit envisagée. Le degré de pouvoir que le parlement possédait sur les colonies était un point contesté ; mais je veux bien accorder que le parlement eût tout pouvoir.

— C’est, je le crains bien, décider la question, dit M. Effingham.

— Je ne le pense pas. Le parlement gouvernait donc les colonies absolument et loyalement, si vous voulez, sous les Stuarts ; mais les Anglais se révoltèrent contre ces Stuarts, les détrônèrent, et donnèrent la couronne à une famille entièrement nouvelle, famille qui ne tenait que par une alliance éloignée à la branche régnante. Ce n’était pas assez : le roi fut restreint dans son autorité ; le prince, qu’on pouvait supposer justement animé d’un même sentiment de bienveillance pour tous ses sujets, devint une simple machine entre les mains d’une assemblée d’hommes qui, par le fait, ne représentaient guère qu’eux-mêmes, ou une simple fraction de l’empire,