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— Faites remplacer l’homme qui était à la roue, et amenez-le-moi sur-le-champ, dit le capitaine d’une voix calme et sévère, qui était de plus mauvais augure qu’un jurement.

M. Leach appela un vieux marin, et passa lui-même sur l’arrière, pour exécuter cet ordre. En moins d’une minute il revint avec Paul, apportant le cadavre du marin, ce qui expliqua toute l’affaire.

— Seigneur, tes voies sont impénétrables, murmura le vieux capitaine pendant qu’on emportait le corps du pauvre diable et nous ne sommes dans ta main que des graines de sénevé ou de vains papillons.

Le rocher une fois passé, l’Océan était ouvert sous le vent du paquebot, et, naviguant grand largue, il s’éloigna rapidement de tous ces rochers qui avaient été la scène de tant de dangers. Au bout de quelques minutes, il était déjà assez loin pour ne plus avoir aucun danger à redouter des Arabes. Ces barbares continuèrent pourtant leurs décharges de mousqueterie, accompagnées de gestes furieux, longtemps après que leurs balles et leurs menaces n’étaient plus un sujet d’inquiétude pour aucun de ceux qui se trouvaient à bord.

Le corps du défunt fut déposé entre les mâts, et l’ordre fut donné d’enverguer les voiles. Comme tout était prêt, le Montauk, au bout d’une demi-heure, s’éloignait de la terre sous ses trois huniers, laissant déjà le récif à près d’une lieue de distance. Vinrent alors les basses voiles ; ensuite on mit les perroquets en croix, et leurs voiles furent établies ; enfin on s’occupa des voiles plus légères, et quelque temps avant le coucher du soleil, le paquebot, bonnettes dehors, avançait vers l’ouest, favorisé par les vents alisés.

Pour la première fois depuis qu’il avait appris la nouvelle que les Arabes étaient maîtres de son bâtiment, le capitaine Truck éprouva alors un véritable soulagement. Il s’était trouvé momentanément heureux après le succès du combat ; mais de nouveaux sujets d’inquiétude étaient survenus si promptement, qu’on pouvait à peine dire qu’il eût été tranquille. Maintenant tout était changé : si son bâtiment n’était pas assez bien gréé pour être excellent voilier, il était du moins en bon ordre. Dans la basse latitude où il se trouvait, il avait pour lui les vents alisés ; il n’avait plus à craindre son ancienne ennemie, la corvette l’Écume ; en un mot, il lui semblait que sa poitrine était soulagée du poids d’une montagne.

— Grâce à Dieu, dit-il à Paul, je dormirai cette nuit sans rêver d’Arabes, de rochers, ou de figures rembrunies à New-York. On peut dire qu’un autre aurait pu montrer plus de dextérité pour se préserver de pareils embarras ; mais je défie qu’on dise qu’un autre