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monsieur Leach, et nous jetterons un coup d’œil sur ses amarres. Tout cela s’exécuta, et le Montauk fut solidement amarré, avec toute l’attention qu’exigeait un changement de vent qui promettait d’être durable. Pas un instant ne fut perdu. Les bigues étaient encore en place, le mât de misaine du bâtiment danois fut halé le long du Montauk, hissé, et mis en place avec autant de rapidité que le comportait le soin qu’il fallait mettre à cette manœuvre. Quand ce mât fut en place, le capitaine se frotta les mains de plaisir, et ordonna qu’on le gréât sur-le-champ, quoique le jour fût déjà fort avancé.

— Voilà ce qui nous arrive, à nous autres marins, monsieur Effingham, dit le capitaine Truck ; de la manœuvre au combat, et du combat à la manœuvre. Notre ouvrage, comme celui des femmes, n’est jamais terminé, au lieu que vous autres à terre vous vous couchez avec le soleil, tandis que le blé croît. J’ai toujours su mauvais gré à mes parents de m’avoir élevé pour mener une vie de chien.

— J’avais compris que vous aviez vous-même choisi votre profession, capitaine.

— Oui, en ce que je me suis enfui de chez eux et que je me suis mis à bord d’un bâtiment à leur insu. Mais ils auraient dû commencer par le commencement, et m’élever de manière à ne pas me mettre dans l’esprit de m’enfuir de chez eux. Que le ciel me pardonne pourtant de parler ainsi de ces bons et chers parents ! car, pour parler franchement, ils méritaient d’avoir un meilleur fils, et je crois véritablement qu’ils m’aimaient plus que je ne m’aimais moi-même. Eh bien ! j’ai la consolation de savoir que j’ai régalé ma vieille mère de bien des livres d’excellent thé, dès que j’ai été à bord d’un bâtiment faisant le commerce avec la Chine.

— Elle l’aimait donc ? dit la gouvernante.

— Elle l’aimait comme un cheval aime l’avoine, et un enfant les gâteaux. — Le thé, le tabac et la grâce, faisaient sa principale consolation.

Quoi ? demanda la gouvernante, se tournant vers Paul, comme pour lui demander une explication.

La grâce, Mademoiselle, la grâce de Dieu.

Ah ! bien.

— C’est une grande infortune, après tout, de perdre une mère : c’est comme de couper toutes les amarres de l’avant et voguer en culant ; car c’est laisser échapper le passé pour lutter avec le futur. Il est vrai que j’étais bien jeune quand je m’enfuis de chez ma mère, et que je ne songeais guère à tout cela ; mais quand elle plia ses