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comme ils ont répandu la moutarde, et comme ils ont massacré ce canard froid ! J’ai une aversion mortelle pour tout homme qui découpe une volaille à contre-fil. — Et pourrez-vous bien le croire, miss Effingham ? le dernier coup de canon tiré par M. Blunt a disloqué, ou autrement écartelé, une demi-douzaine de mes poulets ; car j’avais rendu la liberté à ces pauvres créatures, afin qu’elles pussent chercher leur vie, si nous ne revenions plus ici. Il me semble qu’un homme aussi poli et aussi expérimenté que M. Blunt aurait mieux fait de tirer sur les Arabes plutôt que sur mes poulets.

— Ainsi va le monde, pensa Ève en jetant un coup d’œil dans l’office avant de rentrer dans son appartement ; ce qu’on regardait hier comme un bonheur devient un malheur aujourd’hui ; et les coups de l’adversité sont oubliés, du moment que la fortune vient à sourire. Ces deux hommes, il y a quelques heures, se seraient crus bien heureux de trouver sur ce bâtiment seulement un abri pour leur tête, et maintenant ils se plaignent parce qu’il leur manque quelques objets superflus dont l’habitude seule leur fait un besoin. — Après cette sage et salutaire réflexion, nous la laisserons rentrer dans sa chambre, pour voir dans quel état elle se trouve, et nous remonterons sur le pont.

Comme il était encore de bonne heure, le capitaine Truck, s’étant une fois rendu maître de son émotion, ne songea plus qu’à profiter du succès qu’il venait d’obtenir. La partie de la cargaison que les Arabes avaient laissée sur le sable fut arrimée de nouveau, et le grand travail fut ensuite de remettre le bâtiment à flot avant d’établir les nouveaux mâts. Comme les ancres étaient encore sur le récif et dans tous les endroits où elles avaient été placées, presque tout ce qu’il y avait à faire était de haler sur les chaînes dès que la marée serait montée. Cependant, avant de commencer cette besogne, on employa le temps qui restait à se défaire des voiles de fortune dont on s’était servi par nécessité, et à établir des bigues pour retirer les débris du mât de misaine, ainsi que le grand mât de fortune, qui, comme on se le rappellera, n’avait été mis en place que la veille. Tous les apparaux qui avaient servi étant encore sur le pont, et chacun travaillant avec zèle, cette tâche fut terminée à midi. Le grand mât de fortune donna peu d’embarras, et fut bientôt déposé sur le sable. Le capitaine Truck ayant fait placer les bigues, on commença alors à soulever ce qui restait du mât de misaine ; et au moment où l’on avertit que le dîner de l’équipage était prêt, ce mât venait d’être déposé à côté du premier.

— Ci-gît le pauvre Tom Bouline, un vrai ponton, dit le capitaine