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s’y promener, et, s’étant assis près de la grande écoutille, il pleura comme un enfant. Son émotion était si vive que cet accès dura quelque temps, et tous les hommes de son équipage furent surpris de voir leur vieux commandant montrer ce qui leur semblait la faiblesse d’une femme. Enfin il parut en avoir honte lui-même, car, se relevant comme un tigre qui va prendre son élan, il se mit à donner ses ordres avec promptitude et d’un ton sévère, suivant sa coutume.

— Pourquoi, diable, restez-vous ainsi les yeux ouverts et la bouche béante ? s’écria-t-il. N’avez-vous jamais vu un bâtiment un peu sur la côte ? Dieu sait et vous savez tous que nous ne manquons pas d’ouvrage, et vous êtes la comme des soldats de marine attendant leur demi-tour à droite ou de la terre de pipe pour nettoyer leurs habits.

— Ne vous fâchez pas, capitaine, lui dit un vieux loup de mer en lui tendant une main dont la paume ne présentait aux yeux que des durillons, un luron qui, même pendant tout le combat, avait conservé sa chique dans sa bouche ; ne vous fâchez pas, et ne regardez ces balles et ces caisses que comme une cargaison qu’il faut mettre à bord. Nous aurons bientôt arrimé tout cela, et au bout du compte, à l’exception d’une caisse d’ustensiles de faïence que la mitraille a brisée comme l’aurait fait un chat enfermé dans un buffet, il n’y a pas eu grand mal : je regarde cette affaire comme un coup de vent qui nous a obligés de mettre en panne pour quelques heures, et qui nous fournira des histoires à raconter pour tout le reste de notre vie. J’ai combattu de mon temps les Français, les Anglais et les Turcs ; à présent je pourrai dire que j’ai eu une escarmouche avec les nègres.

— Sur ma foi, vous avez raison, mon vieux Tom, et je n’y penserai pas davantage. — Monsieur Leach, donnez un peu d’encouragement à l’équipage ; vous trouverez sur le cutter une grande cruche qui contient ce qu’il faut pour cela. Vous les mettrez ensuite à l’ouvrage, et vous ferez reporter à bord tout ce que ces maudits Arabes ont éparpillé sur le sable. Nous songerons à l’arrimage quand le bâtiment se trouvera plus à son aise qu’à présent.

Ce fut le signal du commencement de l’ouvrage. Ces braves marins, qui venaient de se trouver au milieu de la confusion et du danger d’un combat, burent d’abord leur grog, et se mirent ensuite sérieusement au travail. Comme leur expérience et leur dextérité n’avaient à réparer que quelques légers dommages, causés par l’ignorance et la précipitation des Arabes, tout fut en fort peu de temps reporté à bord du Montauk, et alors ils s’occupèrent de la situation de ce bâti-