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telle précipitation qu’ils laissèrent sur le récif, à quelque distance du rivage, tous leurs morts et la plus grande partie des blessés. Le premier soin des vainqueurs fut naturellement de vérifier quelle était leur perte ; elle était beaucoup moindre qu’elle aurait pu l’être ; car, excepté le malheureux Brooks, tout le monde répondit à l’appel, ce qu’il faut attribuer à ce que chacun s’était parfaitement comporté, moyen infaillible de diminuer le danger. Plusieurs marins avaient pourtant été légèrement blessés, et plus d’un habit et d’un chapeau avaient été traversés par des balles. Trois marques semblables prouvaient que M. Sharp ne s’était pas ménagé. Paul avait la peau entamée au bras gauche, et le capitaine Truck disait qu’il ressemblait à un cheval dans la saison des taons, car il avait l’épiderme enlevé à cinq ou six endroits. Mais ces blessures légères ne comptaient pour rien, et ceux qui les avaient reçues ne voulaient pas même se déclarer blessés.

Tous se félicitèrent mutuellement, et les matelots eux-mêmes demandèrent à leur brave et vieux commandant la permission de lui serrer la main. Paul et M. Sharp s’embrassèrent cordialement, et chacun d’eux exprima à l’autre le plaisir qu’il avait de le revoir sain et sauf. Le dernier offrit même sa main de bon cœur à celui qui s’était emparé de son titre, et qui avait montré beaucoup de courage depuis le commencement du combat jusqu’à la fin. John Effingham fut le seul qui conserva après le combat le même air d’indifférence qu’il avait montré tant que l’affaire avait duré ; car il s’était conduit avec autant de sang-froid que de valeur, ayant renversé deux Arabes des deux premiers coups qu’il avait tirés en débarquant, aussi tranquillement qu’il aurait abattu deux bécasses à la chasse.

— Je crains que M. Lundi ne soit sérieusement blessé, dit-il au capitaine en recevant ses félicitations. Le voilà assis là-bas sur cette caisse, et il paraît souffrant ét épuisé.

— M. Lundi ! j’en serais bien fâché ! c’est un excellent diplomate, et je l’ai vu combattre aussi bien qu’aucun de nous. — Et M. Dodge ?

— Je ne vois pas M. Dodge.

— Il faut que M. Dodge soit resté près des dames pour les consoler, dit Paul, en voyant que votre second lieutenant les avait abandonnées, en chevalier déloyal qu’il est.

Le capitaine serra une seconde fois la main de l’officier désobéissant, jura qu’il était un mutin pour avoir contrevenu à ses ordres, et finit par dire qu’il espérait que le jour n’était pas éloigné où il verrait M. Leach et lui commander deux des meilleurs paquebots américains.