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— Je n’entends rien à ces préparatifs de guerre, dit-elle ; mais j’espère, monsieur Blunt, que nous n’entrons pour rien dans tout ce qui se passe à présent.

— Soyez sans inquiétude à ce sujet, ma chère miss Effingham ; tout ce que nous faisons est conforme à la loi générale des nations. Si l’on n’avait consulté que votre intérêt et celui des personnes qui vous sont chères à si juste titre, on aurait pu prendre une détermination toute différente ; mais je crois que vous êtes en bonnes mains, si notre entreprise avait des suites fâcheuses.

— Des suites fâcheuses ! — Il est terrible d’être si près d’une scène semblable ! Je ne puis vous demander de rien faire qui soit indigne de vous ; mais les services que vous nous avez rendus me permettent de dire que j’espère que vous avez trop de prudence, trop de vrai courage, pour vous exposer au danger sans nécessité.

— Nous autres vieux chiens de mer, répondit-il en souriant, nous sommes connus pour avoir soin de nous-mêmes. Ceux qui sont élevés dans un métier comme celui-ci s’en occupent trop, pour l’ordinaire, comme d’un métier, pour s’exposer beaucoup, uniquement par égard pour les apparences.

— Et ils agissent fort sagement. Il y a aussi M. Sharp… — En ce moment les joues d’Ève se couvrirent d’une rougeur dont Paul aurait donné tout au monde pour connaître la cause. — Il a des droits sur nous que nous ne pourrons jamais oublier. Mon père peut vous dire tout cela mieux que moi.

M. Effingham lui fit alors ses remerciements de tout ce qu’il avait fait, et lui recommanda fortement la prudence. Pendant ce temps, Ève quitta la fenêtre, et elle ne s’y remontra plus. Une bonne partie de l’heure suivante fut passée en prières par tous ceux qui étaient sur la chaloupe du Montauk.

Les embarcations et le radeau n’étaient alors qu’à un demi-mille de la passe, et le capitaine Truck ordonna qu’on mouillât l’ancre à jet qu’il avait fait porter à bord de la chaloupe où étaient les femmes. Et dès que cette manœuvre fut terminée, il jeta son chapeau par terre et monta sur un banc, n’ayant la tête couverte que de ses cheveux gris.

— Messieurs, dit-il avec dignité, car ses manières et son langage prenaient un caractère plus élevé quand l’occasion l’exigeait, et l’on voyait en lui en ce moment quelque chose de la grandeur du guerrier ; vous avez reçu vos ordres, et vous voyez l’ennemi. Il faut d’abord passer le récif, et ensuite prendre le bâtiment. Dieu sait qui vivra pour voir la fin de cette entreprise ; mais cette fin sera le succès, ou