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un coup d’œil d’intelligence, il sourit et s’approcha du principal groupe.

— Réellement, monsieur le procurer, dit-il, cela me paraît un peu irrégulier, je dois l’avouer, tout à fait extraordinaire, et cela peut avoir des suites désagréables.

— De quelle manière, Monsieur ? demanda Seal, qui n’avait eu besoin que d’un seul regard pour être convaincu de l’ignorance de celui qui lui parlait.

— Irrégulier en forme, sinon en principe… Je sais que l’habeas corpus est l’essentiel et que la loi doit avoir son cours ; mais réellement tout ceci me paraît un peu irrégulier, pour ne pas employer un terme plus dur.

M. Seal écouta ce nouvel appel, du moins avec un air de respect, car il sentait qu’il était fait par un homme fort au-dessus de lui ; mais, au fond, cette nouvelle intervention ne lui inspirait que du mépris, parce qu’une sorte d’intuition lui apprenait qu’elle était faite dans une ignorance profonde de la matière. Mais, quant à M. Blunt, le procureur avait une inquiétude désagréable sur le résultat de cette affaire, car les manières tranquilles de celui-ci annonçaient plus de confiance en lui-même et une plus grande connaissance pratique des lois. Cependant, pour s’assurer jusqu’à quel point M. Sharp connaissait la jurisprudence et quelle était la force de ses nerfs, il lui répondit d’un ton magistral et menaçant :

— Oui, que la dame sollicite un mandat d’habeas corpus si elle est arrêtée mal à propos ; je voudrais bien voir l’étranger qui oserait soustraire un prisonnier à la justice dans la vieille Angleterre et au mépris des lois anglaises.

Il est probable que sans cette menace Paul Blunt aurait renoncé à toute intervention, dans la crainte de favoriser un coupable sans le vouloir, et cette menace même ne l’aurait peut-être pas emporté sur sa prudence, s’il avait vu les beaux yeux bleus d’Ève jeter sur lui un regard suppliant.

— Tous ceux qui s’embarquent à bord d’un bâtiment américain, dans un port d’Angleterre, dit-il avec fermeté, ne sont pas nécessairement des étrangers, et l’on ne refuse pas justice à ceux qui le sont L’habeas corpus est aussi bien compris dans d’autres pays que dans celui-ci, car heureusement nous vivons dans un siècle où la liberté et les connaissances ne se trouvent pas exclusivement dans un pays. Si vous êtes procureur, vous devez savoir que vous ne pouvez légalement arrêter une femme pour son mari, et que tout ce que vous dites de l’habeas corpus ne mérite que peu d’attention.