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Ne perdez pas de temps pour éloigner la chaloupe, car sous le vent on n’entend aucun bruit.

Comme tout cela était évident, Paul, quoique peu sûr de son estime, mit la barre au vent, et l’embarcation avança vent arrière. Son sillage étant alors plus rapide, quelques minutes produisirent un changement notable dans la direction des cris que poussaient les bandes bruyantes d’Arabes, mais elles amenèrent aussi une diminution considérable dans la force du vent.

— J’y suis ! s’écria Paul, serrant fortement le bras de son compagnon ; nous arrivons à la passe, et je crois que nous y entrons en droite ligne. Vous entendez les cris qu’on pousse sur notre droite ; ils viennent de l’extrémité septentrionale du récif, et ceux qu’on entend à gauche partent de la pointe méridionale. Les sons qui arrivent encore du bâtiment, la direction du vent de terre, la distance que nous avons parcourue, tout me le confirme, et la Providence nous protège encore une fois.

— Ce sera une cruelle erreur, si nous nous méprenons.

— Nous ne pouvons nous méprendre. Rien autre chose ne saurait expliquer toutes ces circonstances. Tenez, la chaloupe sent les lames de fond. C’est une heureuse preuve, une preuve certaine que nous arrivons à la passe. Plût au ciel que la marée fût au plus haut, ou que nous eussions plus de vent !

Quinze minutes d’inquiétude suivirent cette courte conversation. Tantôt les bouffées de vent faisaient avancer la chaloupe ; tantôt il était évident qu’elle cédait à la force d’un courant contraire. Il n’était pas facile de la maintenir sur sa route véritable, car la moindre déviation de la droite ligne dans le cours de la marée fait également dévier un bâtiment. Pour prévenir ce dernier danger, Paul était obligé de faire constamment attention au gouvernail, sans avoir d’autre guide que les vociférations bruyantes et perpétuelles des Arabes.

— La chaloupe tangue, dit Paul. Ce mouvement me remplit d’espérance, et je crois qu’il augmente.

— Je voudrais voir les choses comme vous, mais je n’aperçois que bien peu de différence.

— Je suis certain que la mer devient plus houleuse, et que les tangages sont plus fréquents ; vous conviendrez que l’eau est plus agitée.

— Certainement, je m’en étais aperçu avant que vous eussiez mis la chaloupe vent arrière. Mais un vent si variable est vraiment le supplice de Tantale.