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Si nous étions au-delà du récif, le ciel ne pourrait mieux exaucer nos prières qu’en nous accordant ce vent ; mais ici, où nous sommes, il vient fort mal à propos. — Ah ! voici du moins qui nous aide.

Une bouffée de la brise de terre remplit les voiles, et le bouillonnement de l’eau sur l’arrière commença à se faire entendre. Paul prit le gouvernail, et la chaloupe s’éloigna lentement du récif.

— Combien nous devons de reconnaissance au ciel ! Ce danger du moins est évité. — Ah ! la chaloupe a touché !

Il était bien vrai qu’elle était sur le sable. Ils étaient encore si près des rochers, qu’ils étaient obligés de mettre la plus grande circonspection dans leurs mouvements. Ayant examiné leur situation avec attention et prudence, ils virent que l’arrière était engagé dans le sable et qu’il n’y avait d’autre remède que la patience.

— Il est heureux, dit Paul, que les Arabes n’aient pas de chiens sur ces rochers ; les entendez-vous hurler dans leur camp ?

— Oui, sans doute. — Croyez-vous que nous puissions trouver la passe dans une pareille obscurité ?

— C’est notre seule ressource. En suivant les rochers, nous serions sûrs de la découvrir ; mais nous les avons déjà perdus de vue, quoiqu’ils ne puissent être à plus de trente brasses de nous. — Ah ! le gouvernail peut agir ; il faut que la chaloupe soit dégagée. Cette dernière risée nous a rendu service.

Il y eut un autre intervalle de silence. La chaloupe avançait lentement, quoique aucun d’eux n’eût pu dire de quel côté. Un seul feu restait en vue, et il semblait près de s’éteindre. Quelquefois un vent chaud semblait venir du désert, et il était suivi par un calme plat. Paul gouverna la chaloupe avec le plus grand soin pendant une demi-heure, profitant de chaque souffle de vent, quoiqu’il ignorât complètement où il était alors. Ils n’avaient pas revu le récif ; ils avaient touché trois fois, le vent ou la marée les remettant à flot, et ils avaient plusieurs fois changé de route. Il en résulta pour eux cette profonde et pénible sensation qu’on éprouve quand on ne peut se rend recompte compte de rien, que la chaîne des idées est rompue, et que la raison devient moins utile que l’instinct.

— Le dernier feu est éteint, dit Paul à voix basse ; je crains que le jour ne nous trouve encore dans l’enceinte du récif.

— Je vois quelque chose devant nous. — Serait-ce un rocher ?

Le vent avait entièrement cessé, et la chaloupe était presque immobile. Paul remarqua que l’obscurité en face était plus épaisse que jamais, et il se pencha sur l’avant, étendant naturellement un bras