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elle s’éloignait lentement du banc de sable qui lui avait donné l’hospitalité.

— Je quitte ce banc de sable, comme on quitte un ami qu’on a mis à l’épreuve, dit Paul, toute la conversation ayant lieu à voix basse ; quand j’en étais voisin, je savais où nous étions, mais bientôt nous serons entièrement perdus dans ces profondes ténèbres.

— Nous avons encore les feux du camp des Arabes pour nous servir de phare.

— Ils peuvent nous donner une faible idée de notre position, mais une pareille lumière est un guide très-perfide par une nuit si obscure. Nous n’avons pas autre chose à faire que d’avoir l’œil sur l’eau et de chercher à gagner au vent.

Paul établit une voile de fortune, faite avec un des cacatois du paquebot. Il s’assit en avant sur le plat-bord de la chaloupe, les jambes pendantes de chaque côté de l’étrave. Il avait frappé deux lignes sur la barre du gouvernail, de manière à gouverner avec un croissant. M. Sharp, assis près de lui, tenait en main l’écoute de la grande voile. Une gaffe et un léger espar étaient à portée sur le rouffle, pour s’en servir si la chaloupe venait à toucher.

Pendant qu’ils étaient sur le banc de sable, Paul avait remarqué qu’en tenant la chaloupe au vent il pouvait suivre un des canaux les plus larges pendant près de deux milles, à moins qu’il ne rencontrât des courants ; et que lorsqu’il serait à l’extrémité méridionale, il aurait assez gagné au vent pour atteindre la grande passe, sauf les bancs de sable qui pourraient se trouver sur la route. La distance l’avait empêché de distinguer aucun passage dans le récif, à l’extrémité de ce canal ; mais comme la chaloupe ne tirait que deux pieds d’eau, il n’était pas sans espoir d’en trouver un. Un espace d’eau assez profonde pour empêcher le passage des Arabes, quand la marée était haute, lui paraissait certainement suffire pour arriver à son but ; La chaloupe avançait constamment et avec une vitesse raisonnable, mais c’était comme un homme marchant dans une masse d’obscurité. Paul et M. Sharp avaient les yeux fixés sur l’eau en avant d’eux avec une attention infatigable, mais avec peu de succès, car ils ne faisaient que passer de ténèbres en ténèbres. Heureusement, les observations que le premier avait faites avant de partir leur furent utiles ; et pendant plus d’une demi-heure ils avancèrent sans interruption.

— Ils dorment tranquillement sous le rouffle, dit Paul, tandis que nous gouvernons presque au hasard. Nous nous trouvons dans une situation aussi hasardeuse qu’étrange. L’obscurité double tous les risques.