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présent qu’il a jeté l’ancre dans un autre pays et qu’il ne reste plus de lui que son âme, n’apprenne jamais cette peccadille, de peur que cela ne jette de la zirzanie entre eux dans le ciel.

— Vous savez à peine ce que vous dites, monsieur Saunders, s’écria Nanny, choquée d’un tel discours, et je ne continuerai pas plus longtemps cette conversation.

Le maître d’hôtel fut obligé de se soumettre à cette sentence, mais il s’en consola en écoutant ce qu’on disait sur le rouffle. Comme il ne plaisait pas à Paul d’entrer dans plus d’explication sur ce qui le concernait personnellement, la conversation continua comme s’il n’eût rien dit. Ils parlèrent encore de leur départ du Montauk, de leurs espérances présentes, et du destin supposé de tous leurs autres compagnons de voyage, leur entretien ayant une nuance de tristesse qui était en harmonie avec la scène mélancolique, quoique pittoresque, au milieu de laquelle ils se trouvaient. Enfin la nuit tomba, et comme elle menaçait d’être obscure et humide, les dames se retirèrent de bonne heure sous le rouffle. Les hommes restèrent beaucoup plus longtemps, et il était plus de dix heures quand Paul et M. Sharp, qui s’étaient chargés de faire le quart, se trouvèrent seuls.

C’était environ une heure plus tard que le moment où le capitaine Truck, comme nous l’avons dit, s’était disposé à dormir dans la chaloupe du bâtiment danois. Le temps avait sensiblement changé pendant ce court espace de temps, et il y avait des signes qui avaient annoncé ce changement à notre jeune marin. L’obscurité était profonde, et la nuit était couverte d’un voile si noir que les deux jeunes gens ne pouvaient même plus distinguer la terre ; ils n’avaient d’autre indice de sa position que les feux à demi éteints du camp des Arabes, et la direction du vent.

— Nous ferons maintenant notre tentative, dit Paul en s’arrêtant dans une courte promenade qu’il faisait sur le sable avec son compagnon ; il est près de minuit, et à deux heures la marée cessera de monter. C’est une nuit bien sombre pour entrer dans ces canaux étroits et tortueux, et même pour nous lancer au milieu de l’Océan sur une embarcation si fragile ; mais l’alternative est encore pire.

— Ne vaudrait-il pas mieux attendre que l’eau montât encore plus haut ? je vois qu’elle continue à avancer sur le sable.

— Il n’y a jamais de fortes marées dans ces basses latitudes, et le peu qui en reste pourra nous servir à nous dégager d’un banc de sable s’il nous arrive d’en toucher un. Si vous voulez monter sur le rouffle ; je lèverai les grappins et je pousserai la chaloupe au large.

M. Sharp rentra dans la chaloupe, et quelques moments après