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heure, mais le soleil descendait dans toute sa gloire vers l’Occident. Le vaste désert, le récif, le bâtiment arrêté sur le sable, les Arabes qui s’efforçaient en vain de l’en dégager, tout donnait à cette scène un caractère de sombre grandeur.

— Si nous pouvions prévoir tous les événements qui doivent se passer dans le cours d’un seul mois, dit John Effingham, comme l’avenir changerait la couleur du présent ! Quand nous avons quitté Londres, il n’y a pas encore vingt jours, nous avions les yeux et l’esprit pleins du luxe, de la magnificence et de toutes les beautés d’une grande capitale ; et nous voici maintenant errants et presque sans abri, regardant le soleil se coucher sur la côte d’Afrique. C’est ainsi, jeunes gens, et vous aussi, jeunes filles, que vous verrez, en avançant dans la vie, que l’avenir trompe bien souvent l’espoir que fait naître le présent.

— Le futur n’est pas toujours sombre, cousin John, dit Ève, et toutes les espérances ne sont pas condamnées au désappointement. Un Dieu plein de merci veille sur nous quand nous sommes réduits au désespoir, et jette un rayon de lumière inattendue sur nos heures les plus noires. Nous sommes certainement les dernières de toutes ses créatures qui devions le nier.

— J’en conviens. Nous avons été sauvés d’une manière si simple, qu’elle semble toute naturelle, et cependant si inespérée, qu’elle est presque miraculeuse. Si M. Blunt ou M. Powis, comme vous l’appelez, quoique je ne sois pas dans le secret de cette mascarade, n’eût pas été marin, nous n’aurions jamais été en état de mettre cette chaloupe à l’eau, et quand même nous eussions pu l’y lancer, nous n’aurions su comment la gouverner. Je regarde sa profession comme la première et la grande intervention de la Providence en notre faveur, et ses talents dans cette profession comme une circonstance qui n’a pas été moins importante pour nous.

Ève garda le silence ; mais le coloris dont le soleil couchant ornait l’horizon occidental était à peine plus brillant et plus radieux que le regard qu’elle jeta sur celui qui était le sujet de cette remarque.

— Ce n’est pas un grand mérite d’être marin, dit Paul après un moment d’hésitation, c’est un métier comme un autre : une simple affaire d’éducation et de pratique. Si, comme vous le dites, j’ai été un instrument de la Providence pour vous être utile, je ne regretterai jamais les accidents, les cruels accidents de ma première jeunesse qui m’ont conduit de si bonne heure sur l’Océan.

On aurait entendu une épingle tomber ; chacun croyait que le jeune homme allait entrer dans quelques détails sur sa vie anté-