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peu enhardi par la familiarité qu’engendrait un événement qui était presque un naufrage, il n’hésita pas à prendre part à la conversation, quoiqu’il eût habituellement un profond respect pour toute la famille Effingham.

— Je regarde comme un privilège, Mesdames et Messieurs, dit-il dès que Paul eut cessé de parler, — d’avoir l’honneur d’être naufraigé, — car c’est ainsi qu’il prononçait ce mot, conformément au dialecte dorique du gaillard d’avant, — en si respectable compagnie. Je considérerais comme une honte d’avoir été jeté dans la société de certaines gens que je pourrais nommer ; mais, comme nous le disons en Amérique, je ne prédirai pas d’eux en leur absence. Quant à ce qui implique les provisions, il m’a été suggéré dans l’esprit que ces dames aimeraient une nourriture délicate, et je l’ai insinué à mistress Sidley et à l’autre femme de chambre française. Mais croyez-vous, Messieurs, qu’il soit permis aux âmes des morts, de jeter un regard sur ce qui concerne leurs affections et leurs intérêts ?

— Je crois, maître d’hôtel, répondit John Effingham, que cela doit dépendre de la nature des occupations des âmes. Il doit y en avoir pour qui toute autre occupation devrait être plus agréable que celle de jeter un coup d’œil en arrière sur ce monde. Mais pourquoi faites-vous cette question ?

— Parce que je ne crois pas, monsieur John Effingham, que l’âme du capitaine Truck puisse être heureuse dans le ciel tant que son bâtiment sera en la possession des Arabes. Si le Montauk eût été honorablement et légitimement naufraigé et que le capitaine eût été suffroquée en se noyant, son âme pourrait dormir en paix comme celle de tout autre chrétien ; mais je pense, Monsieur, que s’il y a une perdition spéciale pour un marin, ce doit être de voir son bâtiment saccagé par des Arabes. Je suis sûr que ces vauriens ont déjà mis partout leurs doigts sales, dans le sucre, le chocolat, le café, les raisins secs, les gâteaux, dans tout enfin. Je voudrais savoir s’ils s’imaginent que quelqu’un voudra toucher à aucune chose qu’ils auront ainsi maniée. Et il y a le pauvre Toast, Messieurs ; c’est un jeune homme qui ne manque pas d’avenir, et qui conglomère en lui tout ce qu’il faut pour faire un bon maître d’hôtel, quoique je ne puisse dire que tous ces germes soient complètement développés en lui ; je voyais venir le jour où j’aurais pu le présenter à M. Leach, comme digne d’être mon prédécesseur, quand le capitaine Truck et moi nous aurions quitté le service, comme je ne doute pas que nous ne l’eussions fait le même jour, sans cet accident fâcheux. À présent je prie dévotement le ciel qu’il soit mort ; car il vaudrait mieux qu’il lui