CHAPITRE XXIV.
e départ de la chaloupe eut lieu dans le moment le plus propice :
si elle eût quitté le bâtiment pendant que les Arabes qui étaient sur
le radeau n’avaient rien à faire, elle aurait été exposée à leur feu ;
car, parmi ceux qui s’y trouvaient, une douzaine au moins étaient
armés de mousquets ; au lieu qu’elle glissait alors sous le vent, tandis
qu’ils étaient occupés à monter sur le Montauk, ou qu’ils en étaient
si près qu’ils ne pouvaient apercevoir la chaloupe. Quand Paul, par
une fente de l’arrière, vit le premier Arabe arriver sur le pont du
Montauk, la chaloupe en était déjà à une encâblure, voguant avec
un vent frais dans un des nombreux petits canaux qui coupaient les
bancs de sable. La construction extraordinaire de la chaloupe, avec
son rouffle enclos de toutes parts, circonstance qui faisait qu’on n’y
voyait personne, produisit l’effet de tenir les barbares dans l’inaction
jusqu’à ce que la distance l’eût mise à l’abri de tout danger. Ils tirèrent
pourtant quelques coups de mousquet, mais au hasard et par pure
bravade.
Paul laissa courir la chaloupe avec le vent largue jusqu’à ce qu’il fût à un mille du Montauk. Voyant alors qu’il approchait du récif au nord-est, et qu’il avait en face un banc de sable favorable à peu de distance, il mit la barre dessous, mit la voile en bannière, et l’étrave de la chaloupe frappa sur le sable. Avec un peu d’adresse, l’embarcation fut placée par son travers près du banc, et il n’y eut qu’un volet du rouffle à ouvrir pour que les femmes pussent y descendre, quand elle fut amarrée.
Il y avait un si grand changement entre la situation presque désespérée dans laquelle ils se trouvaient une heure ou deux auparavant et la sécurité qu’ils éprouvaient alors, qu’ils étaient tous comparativement heureux. Paul Blunt et John Effingham s’accordèrent à assurer qu’avec une telle chaloupe il leur serait très-possible d’atteindre une des Îles sous le Vent, et qu’ils devaient se regarder dans de pareilles circonstances, comme très-fortunés d’être si bien munis de tout ce qui leur était nécessaire. Ève et mademoiselle Viefville, qui avaient rendu de ferventes actions de grâces au grand dispensateur de tous les événements avant de quitter la chaloupe, se pro-