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peu, et enfin ceux qui en tenaient les barres sentirent qu’ils ne pouvaient faire de plus grands efforts.

— Virez tous ensemble, Messieurs ! s’écria Paul, qui dirigeait le travail, en donnant lui-même l’exemple nous soutenons le poids de la chaloupe à présent, et tout ce que nous gagnons est autant de fait pour la hisser.

Ils continuèrent leurs efforts deux ou trois minutes sans en retirer beaucoup de fruit, et s’arrêtèrent tous pour reprendre haleine.

— Je crains que cette entreprise ne soit au-dessus de nos forces, dit M. Sharp. La chaloupe ne me paraît pas avoir remué, et la corde est tellement tendue qu’elle menace de rompre.

— Il ne nous faut que la force d’un enfant ajoutée à la nôtre, dit M. Blunt en jetant un coup d’œil avec hésitation sur le groupe de femmes. — En pareil cas, une livre en vaut mille.

Allons, s’écria mademoiselle Viefville en faisant signe à la femme de chambre française de la suivre, — vous n’échouerez pas dans votre projet, faute du peu d’aide que nous pouvons vous donner.

Ces deux femmes résolues se placèrent aux barres du cabestan, et leurs efforts, secondant ceux des hommes, décidèrent la victoire, qui avait été très-douteuse. Le cabestan qu’un instant auparavant on voyait à peine remuer, et seulement après un effort lent et violent, tourna maintenant lentement, mais constamment, et l’on vit le bout de la chaloupe se lever. Ève voulait prendre part au travail, mais elle en fut empêchée par Nanny, qui la serrait dans ses bras pour la retenir, de crainte qu’il ne lui arrivât quelque accident.

Paul Blunt annonça alors gaiement qu’ils avaient une force suffisante pour hisser la chaloupe, quoique cette opération dût être longue et laborieuse. Nous disons « gaiement ; » car, quoiqu’il ne vît pas encore bien clairement à quoi conduirait ce succès inespéré, un succès quelconque donne toujours du cœur.

— Nous sommes maîtres de la chaloupe, dit-il, pourvu que les Arabes ne nous inquiètent pas ; et à l’aide d’une voile telle quelle, nous pouvons nous éloigner à une distance qui nous mettra hors de leur pouvoir, jusqu’à ce que nous ayons définitivement perdu tout espoir de revoir nos amis.

— C’est une heureuse assurance ! s’écria M. Effingham, et Dieu peut encore nous épargner la partie la plus cruelle de cette calamité. Les émotions comprimées éclatèrent encore, et Ève versa de nouvelles larmes dans les bras de son père, mais il s’y mêlait une sorte de sainte joie. Cependant Paul ayant amarré le garant sur lequel ils venaient de virer, garnit l’autre au cabestan, et l’on recommença