Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 15, 1839.djvu/290

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cette femme hardie et généreuse était montée sur le pont pour voir s’il ne restait réellement aucun moyen d’échapper aux Arabes. Si elle avait aussi bien connu la manœuvre d’un bâtiment qu’elle avait de résolution, il est probable qu’elle aurait déjà fait adopter bien des expédients inutiles ; mais se trouvant dans une situation si nouvelle, elle n’avait pu jusqu’alors suggérer aucune idée qu’il fût probable que ses compagnons approuvassent. Saisissant alors celle de Paul Blunt, elle le pressa vivement de l’exécuter, et à force de zèle et d’instances, elle détermina les deux jeunes gens à commencer sur-le-champ les préparatifs nécessaires. Elle alla chercher M. John Effingham et Saunders ; car, ayant une fois pris part à l’entreprise, elle y mit toute l’ardeur de son caractère ; et descendant enfin sous le pont, elle alla préparer tout ce qui serait nécessaire à leur subsistance s’ils réussissaient à quitter le paquebot.

Le marin le plus expérimenté n’aurait pu se mettre à l’œuvre avec plus de sagesse, ni mieux prouver qu’il savait parfaitement tout ce qu’il y avait à faire, que ne le fit alors M. Blunt. Il chargea Saunders de nettoyer la chaloupe sur laquelle se trouvait un rouffle, et qui était le domicile d’une compagnie encore respectable de volailles, de moutons et de cochons ; il lui ordonna de laisser subsister le rouffle, qui pouvait en quelque sorte servir de pont ; tout le reste fut transféré rapidement de la chaloupe sur le bâtiment, puis Saunders se mit à la nettoyer avec un zèle qui ne lui était pas ordinaire. Heureusement les palans à l’aide desquels M. Leach, la matinée précédente, avait mâté les bigues et mis en place le mât de fortune, étaient encore sur le pont ; et ce fut autant de travail d’épargné à Paul Blunt. Il s’occupa donc à en frapper deux sur l’étai provisoire qui avait été mis en remplacement de l’étai du grand mât. Alors les saisines de la chaloupe furent larguées, et le garant d’un des palans fut garni au cabestan.

Mademoiselle Viefville, par son énergie et son caractère décidé, avait alors inspiré tant d’ardeur à Ève Effingham et aux deux autres femmes, qu’elles voulurent partager ses travaux ; et M. Effingham, quittant sa fille, monta sur le pont et se mit au nombre de ceux qui aidaient Paul dans ses opérations. L’intérêt que tout le monde y prenait était si vif, que toutes les femmes, interrompant leur occupation, arrivèrent elles-mêmes sur le pont à l’instant où les hommes commençaient à virer au cabestan, flottant entre la crainte et l’espérance et respirant à peine, car c’était une question très-douteuse de savoir si leurs forces réunies suffiraient pour enlever une masse si pesante. Le cabestan fit plusieurs tours, la corde se raidissant peu à