Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 15, 1839.djvu/286

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Mon père ! mon père !

— Silence, ma fille ! laissez-moi prier ces messieurs de ne pas nous oublier s’ils arrivent en lieu de sûreté ; car, après tout, la jeunesse peut faire pour vous ce que le temps pourra refuser à John comme à moi. — Vous savez, Messieurs, qu’il ne faut pas épargner l’argent pour sauver ma fille d’un destin cent fois pire que la mort ; et ce pourra être une consolation pour vous, à la fin de votre carrière, qui, j’espère, sera longue et heureuse, de vous rappeler qu’un père aura trouvé un adoucissement à ses derniers moments en comptant sur vos généreux efforts pour sauver sa fille.

— Je ne puis entendre un tel langage, mon père ; je ne puis supporter l’idée que vous deveniez victime de ces barbares ; confions-nous sur un radeau au redoutable Océan, plutôt que de courir la moindre chance d’une telle calamité. — Mademoiselle, joignez-vous à moi pour prier ces messieurs de nous préparer quelques planches, pour que, si nous devons périr, nous ayons du moins la consolation de savoir que nos yeux seront fermés par des amis. Celui qui vivra le dernier sera entouré et soutenu par les esprits de ceux qui l’auront précédé dans un monde où l’on ne connaîtra ni craintes, ni inquiétudes.

— J’y avais pensé dès le premier instant, dit mademoiselle Viefville avec une énergie qui annonçait une âme noble et déterminée ; il ne faut pas que des femmes restent exposées aux insultes et aux outrages de ces barbares ; mais je n’ai pas voulu faire une proposition qui pouvait blesser la sensibilité des autres.

— Si ce moyen est praticable, il vaut mille fois mieux que la captivité, dit John Effingham en jetant un coup d’œil sur Paul comme pour le consulter. Mais Paul fit un signe de tête négatif, car le vent venait de la mer, et il savait qu’en prenant ce parti ils ne feraient que courir au-devant de la captivité, sans conserver cet air de dignité et de confiance qui pouvait faire une impression favorable même sur les Arabes.

— Cela est donc impossible ? dit Ève, comprenant le langage de leurs yeux ; et se jetant à genoux devant M. Effingham, elle ajouta : Eh bien ! mettons donc toute notre confiance en Dieu ; il nous reste encore quelques minutes de liberté, ne les passons pas à nous livrer à de vains regrets. — Embrassez-moi, mon père, et donnez-moi encore une fois cette sainte bénédiction que je recevais de vous chaque soir dans un temps ou nous songions à peine que l’infortune pût jamais nous atteindre.

— Que le ciel vous bénisse et vous protège, mon enfant, ma chère