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sonne n’a le droit de nous séparer, et personne n’en aura le cœur.

— Nanny, Nanny, s’écria Ève, vous ne connaissez pas, vous ne pouvez connaître ces cruels Arabes !

— Ils ne peuvent être plus cruels et plus rancuniers que les sauvages de notre pays, miss Ève, et ceux-ci laissent l’enfant avec sa mère ; quand ils épargnent la vie de leurs prisonniers, ils les emmènent dans leurs wigwams, et les traitent aussi bien qu’eux-mêmes.

Dieu a fait périr tant de méchants à cause de leurs péchés, dans ces pays de l’Orient, que je ne puis croire qu’il y reste un seul homme assez misérable pour vouloir faire le moindre mal à une créature comme miss Ève. Prenez donc courage, Monsieur, et fiez-vous à la sainte Providence. Je sais que c’est une épreuve bien dure pour le cœur d’un père ; mais si la coutume du pays veut que les hommes et les femmes vivent séparément, et que vous soyez privé de votre fille pour quelques jours, souvenez-vous que je serai avec elle comme j’y étais dans son enfance, et que, par la grâce de Dieu, je l’ai fait passer en sûreté à travers bien des maladies mortelles, et que j’en ai fait ce que vous la voyez, dans la fraîcheur de sa jeunesse, une créature parfaite, sans tache et sans un seul défaut.

— S’il n’y avait dans ce monde que des êtres tels que vous, femme bonne et simple, on n’y trouverait sûrement que bien peu de motifs de crainte, car vous êtes aussi incapable de faire le mal vous-même que de le soupçonner dans les autres. Mon cœur serait soulagé du poids d’une montagne, si je pouvais croire qu’il vous sera seulement permis de rester près de cette chère et faible enfant pendant les longs mois de souffrances et d’angoisses auxquels il paraît que je dois m’attendre.

— Mon père, dit Ève essuyant ses larmes, et se relevant si légèrement et avec si peu d’effort, qu’on aurait dit que c’était uniquement l’effet du pouvoir de volition, de la supériorité de l’esprit sur la matière, — qu’aucune crainte pour moi n’ajoute à votre détresse dans un moment si terrible ! Vous ne m’avez connue que dans le bonheur et la prospérité ; vous ne voyez en moi qu’une jeune fille gâtée et indolente, mais je me sens un courage qui est en état de me soutenir, même dans cet affreux désert. Les Arabes ne peuvent avoir d’autre désir que de nous garder comme des prisonniers qui peuvent leur payer une forte rançon. Je sais que, d’après leurs habitudes, un voyage avec eux sera pénible et fatigant, mais je saurai le supporter. Fiez-vous donc à mon courage plus qu’à mes forces, et vous verrez que je ne suis pas aussi faible que vous vous le figurez.

M. Effingham passa un bras autour de la taille de sa fille, et la