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— Pauvre Nanny ! dit Ève, avançant une main à la bonne femme et ayant toujours le visage couvert de ses cheveux épars, vous apprendrez bientôt qu’il y a autre chose que la tombe qui met tout le monde de niveau.

— Miss Ève !

— Vous verrez qu’Ève, entre les mains de ces barbares, ne sera plus votre Ève. Ce sera à son tour à devenir servante, et elle aura à remplir des fonctions plus humiliantes que rien de ce que vous avez jamais fait pour elle.

Un pareil comble de malheur ne s’était jamais présenté à l’imagination de la simple Nanny, et elle fixa les yeux sur sa jeune maîtresse avec un tendre intérêt, comme si elle eût cru que ses craintes lui égaraient l’esprit.

— Il n’y a rien de moins probable, ma chère miss Ève, dit-elle, et vous affligerez votre père en parlant d’une manière si étrange. Les Arabes sont humains, tout barbares qu’ils sont, et ils ne songeront jamais à faire une chose si cruelle.

Mademoiselle Viefville fit en ce moment une exclamation fervente en sa propre langue, indiquant combien elle sentait leur déplorable situation ; et Nanny Sidley, qui se trouvait toujours mal à l’aise quand on disait à sa maîtresse quelque chose qu’elle ne pouvait comprendre, regarda successivement tout le monde comme pour demander une explication.

— Je suis sûre, continua-t-elle d’un ton plus positif, que Mamerzelle ne peut penser qu’une pareille chose arrive. — Vous du moins, Monsieur, vous ne souffrirez pas que votre fille se tourmente l’esprit par des idées si déraisonnables et si monstrueuses.

— Nous sommes entre les mains de Dieu, ma bonne Nanny, reprit M. Effingham, et vous pouvez vivre assez pour voir renverser toutes les vôtres. Prions Dieu qu’il ne permette pas que nous soyons séparés, car ce sera du moins une consolation que de pouvoir supporter ensemble nos malheurs. Si l’on nous séparait, ce serait alors que l’agonie deviendrait insupportable !

— Qui pensera jamais à une pareille cruauté, Monsieur ? Moi, ils ne peuvent me séparer de miss Ève, car je suis sa servante, sa servante fidèle et éprouvée, qui, l’a tenue dans ses bras et qui en a pris soin pendant son enfance. Et vous, Monsieur, vous êtes son père, son père chéri et révéré ; et M. John n’est-il pas son cousin, son parent par le nom comme par le sang ? Mamerzelle elle-même a droit de rester avec miss Ève, car elle lui a appris bien des choses qui, j’ose le dire, étaient bonnes à savoir. Non, non, non ; per-