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Ce n’était pas le moment de songer à de vaines formes, et Ève qui, en toute autre circonstance, n’aurait pas voulu être vue dans une telle attitude par ses compagnons de voyage, leva à peine la tête pour leur rendre leur salut quand ils entrèrent. Elle avait beaucoup pleuré, et ses cheveux étaient tombés en désordre sur ses épaules. Ses larmes ne coulaient plus ; elle avait vaincu la faiblesse de son sexe, et le vif coloris qui avait succédé, sur ses joues, à une pâleur mortelle, annonçait le combat qu’elle avait eu à livrer avant de remporter la victoire, et donnait à ses traits aimables une expression angélique. Les deux jeunes gens crurent qu’elle ne leur avait jamais paru si belle, et ils frémirent en songeant que cette beauté parfaite serait probablement bientôt sa plus dangereuse ennemie.

— Messieurs, dit M. Effingham d’un ton calme, et avec cet air de dignité dont aucune inquiétude ne pouvait jamais le priver : mon parent vient de m’informer de l’état désespéré de notre situation. C’est par intérêt pour vous que je vous ai fait demander cette entrevue. Unis par les nœuds du sang et de l’affection, ceux que vous voyez ici ne peuvent se séparer ; ils doivent partager le même destin ; mais quant à vous, Messieurs, vous n’avez pas de semblables obligations à remplir ; jeunes, actifs et courageux, vous pouvez former quelque plan pour échapper à ces barbares, et pouvoir, vous du moins, vous mettre en sûreté. Généreux comme vous l’êtes, je sais que vous ne serez pas d’abord disposés à écouter ce conseil, mais un peu de réflexion vous fera voir qu’il tend à notre intérêt comme au vôtre. Une fois en sûreté, vous pourrez faire connaître notre destin beaucoup plus tôt qu’on ne pourrait l’apprendre par toute autre voie, et ceux qui s’intéressent à nous prendront sur-le-champ des mesures pour faire payer notre rançon.

— Cela est impossible, dit M. Sharp avec fermeté, nous ne pouvons consentir à vous quitter. Jouirions-nous d’un seul instant de repos si nous avions à nous reprocher un pareil trait d’égoïsme ?

— M. Blunt ne dit rien, reprit M. Effingham après un instant de silence, ses yeux se fixant tour à tour sur les deux jeunes gens. Il trouve ma proposition plus raisonnable, et il écoutera son propre intérêt.

Ève leva la tête, et, sans songer à l’intérêt qu’elle faisait paraître, elle regarda avec une attention mélancolique celui qui était l’objet de cette remarque.

— Je rends justice aux sentiments généreux de M. Sharp, répondit Paul Blunt à la hâte ; je serais fâché d’avoir à avouer que mon premier mouvement était moins intéressé. Je conviens pourtant que