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maintenir sa dignité. Au surplus, l’affaire qui amenait l’officier de justice n’avait aucun rapport avec les passagers de l’arrière ; il venait chercher une jeune femme qui avait épousé un amant auquel son oncle avait refusé sa main ; et comme cet événement obligeait cet oncle à rendre des comptes qu’il ne se souciait pas de voir approfondir, il avait cru prudent de prévenir la demande, en en formant une lui-même contre le mari pour obtenir le remboursement d’avances, réelles ou prétendues, qu’il alléguait avoir faites à sa nièce pendant sa minorité. Une douzaine d’oreilles attentives entendirent le précis diffus de cette histoire, tandis que M. Grab la racontait au capitaine ; et dans un espace de temps incroyablement court, le bruit s’en répandit dans tout l’équipage avec de nombreux embellissements.

— Je ne connais pas la personne du mari, continua l’officier de justice, et le procureur, qui est encore dans la barque, ne la connaît pas plus que moi ; mais il se nomme Robert Davis, et il doit vous être plus facile de me le montrer : nous savons qu’il est sur ce bâtiment.

— Je ne présente jamais à personne aucun passager de l’avant, mon cher monsieur ; et il n’existe parmi ceux de l’arrière aucune personne qui porte ce nom ; je vous en donne ma parole d’honneur, et c’est une parole qui doit suffire entre des hommes comme nous. Vous pouvez le chercher ; mais, pendant ce temps, il faut que le service marche. Prenez votre homme, mais ne retardez pas le départ du bâtiment. — Monsieur Sharp, je vous présente monsieur Grab ; monsieur Grab, voici M. Sharp. — Dépêchons-nous, monsieur Leach, et faites virer le mou de la chaîne le plus tôt possible.

Il paraissait y avoir entre les deux individus qui venaient d’être présentés l’un à l’autre, ce que les physiciens appellent une attraction de répulsion ; car M. Sharp regarda M. Grab avec un air de froideur hautaine, et ni l’un ni l’autre ne parut croire qu’il fût besoin de beaucoup de cérémonie en cette occasion. M. Grab envoya chercher le procureur qui était resté sur la barque, et il y eut entre eux une consultation sur ce qu’ils avaient à faire. Cinquante têtes étaient groupées autour d’eux, des yeux curieux surveillant leurs moindres mouvements, et un homme disparaissait de temps en temps pour aller faire rapport aux autres de tout ce qui se passait.

Il règne certainement un esprit de corps parmi les hommes ; car, sans rien connaître au fond de l’affaire, sans s’inquiéter si elle était juste ou injuste, matelots et passagers, hommes, femmes et enfants tout ce qui se trouvait sur l’avant du bâtiment, ce qui faisait au