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— Pensée déchirante ! Je sacrifierais mille fois ma vie, je me soumettrais à toutes les souffrances, pour lui éviter un pareil destin ! Croyez-vous que ces dames connaissent leur véritable situation ?

— Elles semblent plus inquiètes qu’effrayées. Comme nous-mêmes, elles ont été soutenues par une forte espérance de voir arriver les embarcations ; mais l’arrivée continuelle d’Arabes qui viennent se joindre aux premiers a contribué à leur faire sentir un peu mieux la vraie nature du danger.

En ce moment M. Sharp, qui était appuyé contre le rouffle, demanda la longue-vue pour voir à quoi s’occupait une troupe d’Arabes qui étaient rassemblés à l’endroit où le récif touchait à la terre. Paul Blunt alla le trouver, et fit lui-même cet examen. Il changea de visage en baissant la longue-vue, et ses traits prirent une expression qui ressemblait à celle du désespoir.

— y a-t-il quelque nouveau sujet d’inquiétude ?

— Les misérables se sont procuré un grand nombre d’espars, et ils les attachent ensemble pour en former un radeau. Ils ont résolu de prendre le paquebot, et je ne vois aucun moyen de les en empêcher.

— Si nous étions seuls, si nous n’étions que des hommes, nous pourrions du moins leur vendre chèrement notre vie ; mais il est terrible d’avoir avec nous des êtres que nous ne pouvons ni sauver, ni vouer à une destruction commune.

— Terrible, en vérité ! et impossibilité de faire quelque chose pour nous tirer de cette situation la rend encore plus affreuse.

— Ne pouvons-nous offrir des conditions ? Une promesse de rançon, accompagnée d’otages, ne serait-elle pas acceptée ? Je resterais volontiers avec ces barbares pour assurer la liberté de tous les autres.

Paul Blunt lui serra la main, et lui envia un instant cette pensée généreuse ; mais, souriant avec amertume, il secoua la tête en homme qui sentait l’inutilité d’un pareil dévouement.

— Et je serais bien volontiers votre compagnon, s’écria-t-il, mais ce projet est absolument impraticable. Ils pourraient consentir à recevoir une rançon si nous étions tous en leur pouvoir, mais non à condition de rendre la liberté à quelques-uns de nous ; d’ailleurs, il ne nous resterait aucun moyen de les quitter. Une fois maîtres de ce bâtiment, comme ils le seront nécessairement dans quelques heures, le capitaine Truck, quoique en possession des embarcations, sera obligé de se rendre à eux faute de vivres, ou de courir le risque effrayant de chercher à gagner les îles du Cap Vert sans provisions suffisantes, même par le temps le plus favorable. Ces monstres à