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CHAPITRE XXII.


Le chagrin écouta la voix de la vertu avec un respect religieux ; nulle plainte n’interrompit le silence solennel ; les larmes cessèrent de couler.
Glover



L’espérance est la plus traîtresse de toutes les facultés humaines. Tant qu’on a quelque motif plausible pour attendre du secours de quelque côté que ce soit, on se relâche de ses efforts en face du danger le plus imminent, et l’on se livre encore à son espoir longtemps après que la raison a commencé à placer toutes les chances sur l’autre plateau de la balance. Ce fut ce qui arriva aux individus qui se trouvaient à bord du Montauk ; ils perdirent deux ou trois heures précieuses dans la vaine croyance que le coup de canon qui avait été tiré devait avoir été entendu par le capitaine Truck, et qu’ils pouvaient s’attendre à chaque instant à voir arriver au moins une des embarcations.

Paul Blunt fut le premier à renoncer à cette illusion ; il savait que si le bruit de l’explosion était arrivé jusqu’à leurs amis, ils devaient l’avoir entendu au bout de quelques secondes, et il savait aussi qu’il était dans le caractère des marins de se décider promptement. Avec de bons rameurs, une heure aurait suffi pour conduire le cutter depuis le bâtiment échoué jusqu’au promontoire, ou l’on aurait pu le voir, avec une longue-vue, du haut du mât de misaine. Plus de deux heures s’étaient écoulées, et l’on n’apercevait encore aucune embarcation. Il se trouva donc forcé bien à regret d’abandonner tout espoir de secours de ce côté. John Effingham, dont le caractère avait plus d’énergie que celui de son cousin, quoique celui-ci ne lui cédât ni en courage personnel, ni en fermeté, surveillait tous les mouvements de leur jeune chef, et quand il le vit descendre pour la dernière fois du mât de misaine, il lut sur ses traits son désappointement.

— Je vois à votre physionomie, dit-il, que nous n’avons plus rien à attendre de ce côté. Notre signal n’a pas été entendu.

— Il n’y a plus aucun espoir ; nous ne devons plus compter que sur nos propres efforts et sur l’aide de la Providence.

— Cette calamité est si soudaine, si terrible, que je puis à peine encore y croire. Sommes-nous bien réellement en danger d’être faits prisonniers par ces barbares ? Ève Effingham, si jeune, si belle, si innocente, si angélique, doit-elle être leur victime ? peut-être enfermée dans un harem ?