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Des réflexions à peu près semblables se présentaient à l’esprit d’Ève Effingham, tandis qu’elle examinait cette foule mélangée parmi laquelle tout le monde était affairé, — les uns à recevoir des canots leur bagage, — les autres à faire leurs adieux à leurs amis. — Quelques-uns pleuraient ; çà et là, on voyait un groupe noyer les réflexions dans la coupe du départ ; et les enfants étonnés regardaient avec une sorte d’inquiétude ceux qui leur étaient chers, comme s’ils eussent craint de les perdre dans une pareille foule, et de perdre en même temps l’affection sur laquelle ils comptaient.

Quoique la discipline sévère qui divise les passagers de l’arrière et ceux de l’avant en deux castes aussi distinctes que celles des Indous, ne fût pas encore établie alors, le capitaine Truck avait un sentiment trop profond de son devoir pour souffrir que le gaillard d’arrière fût envahi sans cérémonie. Cette portion du bâtiment avait donc échappé en partie à la confusion du moment, quoiqu’on y vît, épars en assez grande quantité des coffres, des porte-manteaux, des paniers, et d’autres objets qui font partie du bagage des voyageurs. Profitant de l’espace qui restait encore libre, nos amis sortirent du rouffle pour jouir de la courte promenade qu’un bâtiment peut offrir. À ce moment, on vit arriver une autre embarcation venant de terre ; et un personnage à air grave, qui n’était pas disposé à déroger à sa dignité en montrant de la légèreté, ou en se dispensant des formes, demanda à parler au capitaine. Une présentation était inutile en ce cas, car le capitaine Truck ne l’eût pas plutôt vu qu’il reconnut les traits et l’air pompeux et solennel d’un officier de justice de Portsmouth, qui était souvent employé à visiter les paquebots américains pour y chercher des délinquants, des coupables à différents degrés de crime ou de folie.

— Je commençais à croire, monsieur Grab, dit le capitaine en serrant familièrement la main du myrmidon de la loi, que je n’aurais pas le plaisir de vous voir pour cette fois ; mais la marée n’arrive pas plus régulièrement que vous autres, Messieurs, qui venez ici au nom du roi. — Monsieur Grab, je vous présente M. Dodge. — Monsieur Dodge, voici M. Grab. — Et maintenant, à quel faux, à quelle bigamie, à quel enlèvement à quel scandalum magnatum, dois-je l’honneur de votre présence ? — Sir George Templemore, je vous présente monsieur Grab ; — monsieur Grab, voici sir George Templemore.

Sir George salua avec le dégoût qu’on peut supposer qu’inspirait à un homme honnête, un individu exerçant la profession de M. Grab ; et celui-ci regarda sir George d’un air grave, et en cherchant à